Dans un film médiocre, Et l'homme créa la femme, qui
passe en ce moment sur Canal+ et dont on peut parfaitement se dispenser, les
habitants d'une banlieue riante (façon Ricorée haut de gamme)
ont robotifié leurs épouses
qui dorénavant sont blondes, mamellues, ménagères, cuisinières,
orgasmiquement sonores et surtout répondent à la télécommande
on/off. La soumission ordinaire, celles des "soccer
moms", des "Desperate
Housewives", des "Kinder, Kirsche, Küche",
des femmes au foyer lessivées.
La soumission extraordinaire, au sens premier du terme, a elle aussi sa télécommande.
Non point petit objet high-tech et infra-rouge mais injonction à distance
d'un maître'haillon au pouvoir du porte-voix. La distance, c'est
souvent ce qui sépare les couples bdsm. La relation, très souvent,
naît non point d'un commerce de proximité (de la cantine au Macumba)
mais d'une VPC spécialisée (petites annonces*, sites dédiés,
forums, tchattes, minitel, réseau). On a beau chercher en bas de chez
soi, on trouve parfois le plus si affinité outre-Manche, outre-mer ou
aux antipodes, voire en province. On peut aussi croiser la route d'un partenaire
potentiel marié à une vanille, l'être soi-même, autant
d'obstacles à une relation aussi charnelle et proxime qu'on l'aimerait,
et source de frustrations et de virtualité exacerbées.
Pendant un an, c'est séduisant. On se sent des ailes, on décroisserait
la lune, on exagère le sentiment amoureux, semant des graines de jetaimeuh à tout
va, on cultive avec force engrais son jardin secret. Il faut bien combler ce
manque du corps. Bien sûr, il y a l'amour par téléphone,
mais nous sommes dans la bdsm bulle. Avoir sa soumise au bout du fil n'a rien à voir
avec la tenir en laisse. Il faut de l'emprise. Merveille de la technique et
des arts ménagers, les courriers électroniques pleuvent : "À quatre
heures, tu iras aux toilettes et tu poseras deux pinces à linges sur
tes tétons. Tu les garderas 15 mn et ensuite, tu m'enverras un courriel
de deux pages minimum sur tes impressions et ton ressenti." On reconnaît
la soumise débutante à ce qu'elle n'a pas encore l'arsenal complet
avec diverses pinces made in boutique de référence ou soldes
de chez Casto, mais les candides pinces de bois. Si jamais elle faillit à sa
mission, que les 50 lignes ne sont pas au rendez-vous, une punition sera fixée à plus
tard.
Ou procuration sera donnée à un amimètre, qui en temps
et heure bien réglés, à la seconde près, se chargera
de fouetter la maladroite qui halètera ou hurlera ses émotions
en direct live grâce au forfait illimité de l'un des opérateurs
sur le marché. "Je vous vénère,
mon Maître" sussurrera
la pénitente avant que les batteries ne crèvent. (Existe également
en version webcam.)
Je le voyais deux à trois fois par semaine, mais Maître Stéphane
qui s'appelait Franck devait penser que mon éducation ne saurait se
suffire de ces séances, et prolongeait la prise en main par des coups
de fil m'enjoignant abruptement d'enlever ma culotte sur le champ dans un coin
discret (les wawas donc) puis de le rappeler. Ne voyant déjà pas
le plaisir que je pourrais y prendre, tout en comprenant le sien, je le rappelais
5 mn après, prétendant mielleusement m'être exécyuée.
Autant j'étais prête, en sa présence si précieuse, à mille
concessions pour ne pas le perdre (alors que je ne l'avais jamais gagné,
mais ceci est une autre histoire), autant dès qu'il avait les talons
tournés, en l'absence de relation sincère et réelle, le
lien n'existait pas. C'était de la théorie vide de sens et de
sensations. Et ma culotte restait à sa place (sans doute que si j'eusse
pu en tirer quelque plaisir, je l'aurais ôtée, voire même
laissée dans son tiroir).
La télécommande à distance, éloignement affectif
ou kilométrique, n'a qu'un temps. Comme toutes les télécommandes,
il vient un moment où ça ne fonctionne plus. C'est fragile, une
télécommande. Les sms enjoignant de dormir sur des bogues de
châtaignes ou de se pincer les fesses jusqu'au bleu (photo demandée
dès le lendemain) n'ont plus le moindre charme excitant. Soit l'un des
deux, ou les deux, referme cette parenthèse, en s'étant, à peu
de frais (fors le forfait susmentionné), offert des frissons borderline.
Soit l'homme avoue (façon de parler, il abandonne, sous quelque prétexte
véniel et mensonger, par KO technique) son impuissance à tenir
les rênes non point d'une femelle mais d'une relation (ce qui est en
soi et en effet une autre paire de manche, rendue encore plus coton par la
spécificité bdsm de la liaison, tout le monde n'a pas l'imaginaire,
les épaules...). Soit la femme, déniaisée (enfin !) trouve
une chaussure d'un meilleur cuir pour se reposer à ses semelles. Soit
l'un des deux se libère d'un joug, d'un lieu et s'en va rejoindre l'autre
(j'ai connu deux étatsuniennes de la côte Ouest partie à l'Est
du Canada se marier et faire beaucoup de sm parties) et une autre histoire
commence. Sans télécommande.
* à ce propos, XXXB en a encore pondue une ce jour, dans Libé,
comme d'hab.
Un scan suivra ces jours prochains.