Romain Slocombe, écrivain et photographe, est indéniablement
un fétichiste. Ses romans autant que ses photos le clament. Son double
de fiction se promène volontiers dans un Japon où fleurissent
lolitas pop stars, jeunes filles en uniformes, soumises enchevêtrées
dans du chanvre. L'exposition parisienne, Medical Love, à la galerie
Hors Sol reprend certaines des images de son livre La
Japonaise de St John's Wood (Zulma) et du Femmes
de plâtre de Stéphan Lévy-Kuentz
(La Musardine)
Il suffit d'une lettre, de laisser tomber le o pour un a, et le bondage devient
bandage, pour glisser d'un univers Shibari à celui plus trouble, plus
cru, de Ballard et de son Crash. Ces plâtres, perfusion, bandes stériles
parlent de fractures, de plaies, d'exsanguination. Des femmes mutantes, chairs
meurtries et attelles neuves, les deux en fondus enchaînés. Des
femmes qui portent la marque des éclats de verre, des contusions. S'agit-il
de chercher l'érotisme dans ces coupures, comme on trouve l'excitation à suivre
sur une croupe les rails parallèles d'une canne ?
photo Romain Slocombe
Aucune, femme bandée, femme bondée, femmes accidentée,
femme fouettée, n'est au sens commun femme battue. Les femmes de Slocombe
ne sont pas les victimes de violences conjugales, mais une petite voix traumatisante
nous dit qu'elles n'ont pas choisi l'accident (même si tout cela n'est
que mise en scène, et que les modèles sont reparties démaquillées
et sautillantes sur leurs gambettes impecs) alors que les masochistes implorent
leur bourreau de les châtier. Alors, on les regarde, gêné.
Elles sont toujours très belles, très calmes, pas douloureuses.
Quand on flirte avec le monde bdsm, forcément, ces images interpellent,
sans pour autant séduire.(On aura remarqué que peu se servent
du plâtre pour immobiliser alors que c'est très simple et efficace).
Le corps malade et le corps sexué ont du mal à se confondre,
et bien qu'offertes, ces femmes restent des vestales d'hôpital. Si l'on
doit parler de transgression, une transgression douce comme on le dit de certaines
médecines, c'est ici qu'on en trouve.
Voir des Slocombe, c'est aussi penser au Japon et à cette fascination
des hommes et femmes de la galaxie sm pour ce pays. A cause du bondage, nawa
shibari and co ? Oui, sûrement. Et de l'art du tatouage. J'ai été,
un an, une erreur de casting dans le paysage d'un dominant qui n'aimait que
les japonaises. J'ai toujours trouvé les monomanies, y compris les miennes,
suspectes. Quel paradis perdu frôle-t-on au lit des japonaises ?
photo noqontrol
Aujourd'hui, je croise des femmes soumises qui quand elles ne jouent ni aux
chiennes ni au petits chevaux n'ont que deux mots à la bouche, maiko
et geisha (et la sortie du très mauvais film de Rob Marshall n'a rien
arrangé). En nous rappelant bien que la geisha n'est pas une pute et
ne l'a jamais été, mais est une belle et intelligente jeune femme
formée (dressée) depuis l'enfance aux arts décoratifs
(danse, musique, séduction, bouquets) et de la table (cérémonie
du thé, clichés) pour le repos (stipendié, d'où la
confusion, elle n'est pas payée pour coucher mais pour divertir, ce
n'est pas pareil n'est ce pas !) du guerrier. Un modèle de soumission, à qui
on prête chasteté ou passion (toujours pour bien se démarquer
de la prostituée, faut pas déconner). Oui, mais qui correspond à une
vie de soumission absolue, d'idéal de femme poupée coupée
du monde moderne qui la ferme et ne l'ouvre que pour chanter, qui sert le thé à la
perfection, qui murmure derrière sa main, sait coudre, peindre, arranger
les fleurs, et à défaut d'être voilée, est maquillée
comme un masque, aucun sentiment apparent. Portrait de la soumise en nonne
pas vierge, caparaçonnée dans d'invraisemblables kimonos dont
elle ne peut sortir sans aide, bandée de soie, la marche entravée.