J'ai mis très longtemps avant d'aimer le cirque. Tant que c'était
du Pinder ou du Gruss, des Augustes humiliés, des paillettes ternies
par la sueur, des éléphants qui jouaient de la trompe, des roulements
de tambour comme avant une exécution capitale et des tigres pelés
terrorisés par un hercule (pourtant, le fouet...), je trouvais ce spectacle
d'une tristesse infinie. A peine si les cavaliers et les acrobates appuyaient
sur une petite sonnette enfouie profond sous mes cheveux. Et la femme canon
m'inspirait quelques variations très personnelles, tout comme l'arène
et sa sciure. Mais les spectacles proposés alors tenaient plus de la
purge que du remontoir à boîte à fantasmes.
Photo
mjemirzian
Et puis il y a eu les nouveaux cirques, sans animaux souvent, sans personne
qui risquait sa vie entre deux trapèzes ou près d'un balancier,
avec de la musique rock, des artistes qui tenaient aussi bien de la scène
heavy metal que de la danse la plus classique (mais avec des "numéros" d'une
sensualité qui laissait les cygnes, Galatée, Giselle et les autres
mille lieues et autant d'années lumières loin derrière,
trop académiques avec leurs petits pas codifiés par Marius) et
des numéros d'une poésie et d'une sexualité mêlées.
Le cirque, ce cirque-là, n'avait pas besoin de bestiaux pour cacher
l'animalité des corps, il ouvrait la porte aux centaures, aux minotaures,
aux femmes lianes. il y avait des seins et des torses poils. D'ailleurs, chez
Bartabas ou Ivan, les frères ennemis du cirque Aligre, les chevaux et
les oiseaux sont encore là, et pourtant les spectacles ne se voilent
pas la face (ou alors je suis totalement obsédée, ou les deux).
Archaos, Baroque, Soleil, Plume, Zingaro, Dromesko, par vous, pour vous, je
suis retournée au cirque.
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Sans rentrer trop dans la technique et l'esthétique, je reste délibérement
au plus près de la peau et du muscle, parce que c'est là que ça
se passe tout de même, j'étais abasourdie par ces corps si parfaits,
qu'aucun(e) culturiste n'égalera jamais, rompus à tant d'efforts
qu'ils semble rire au nez du danger et défier l'impossible. Des corps
denses et éoliens à la fois, des corps qu'on a envie d'étreindre,
des corps par qui ont a envie d'être ceinte. Des corps de force pure,
des corps de souplesse absolue. Des corps qui parlent si bien.
Les trapézistes me fascinaient, lâcher prise, le vide, se rattraper,
ou l'être, la confiance en l'autre, se frôler avant de s'empoigner,
flirter avec la mort et la beauté, ça ne vous rappelle rien ?
Moi si.
Il y a aussi tout ces jeux avec du feu, des cordes... Des pirouettes improbables
parties de la racine des cheveux, des chutes sans fin mais sans blessures.
À chaque spectacle, encore en regardant les artistes du Cirque du Soleil
l'autre jour, je surtitre ce que vois de connotations bdsm. Cet homme, cette
femme, il est le dominant, elle est la soumise, il la contraint, la contorsionne,
l'épouse, la mate. Elle s'appuie, le défie, lui confie sa vie.
Leurs gestes sont ceux de l'amour sauvage qui me tient tant à coeur.
Les flammes qui flirtent dans les yeux des autres spectateurs sont celles,
terrifiées et avides, des tiens ou des miens quand nous allons trop
loin (trop loin selon les normes vanilles, sûrement pas assez si l'on
en croit la bible du D/s et les lois du SM). Je réécris la mise
en scène, j'invente des chorégraphies féroces, fières
et farouches, je ressors les fouets des cages vides des animaux, les femmes
sont des panthères ailées, les hommes des lions dompteurs. La
mèche ne claque plus en l'air, mais sur la peau, plus besoin de cymbales,
le lycra se déchire et tout finit dans un rut rauque. Le bdsm ferait
un beau spectacle de cirque, il s'opératise si facilement.
Photo
mjemirzian
J'aime follement le cirque, j'ai envie de courir sans fin, au bout d'une longe, jusqu'à me
rendre d'épuisement.