Les hommes mariés ont longtemps été ma spécialité.
(Et la femme célibataire sans doute la leur... alors que franchement,
les mariés en goguette devraient s'endogamer). Au bout d'un moment, c'est
si compulsif, on ne se dit plus que c'est la faute à pas de chance, mais
que c'est une volonté délibérée (divan, mon beau
divan, dis-moi qui est la plus névrosée). Et que c'est fini nini.
Pourtant, ça recommence, une autre sorte de manège à trois.
Le tableau n'est pas noir. Certains m'ont aimée. J'ai aimé follement
ceux qui ne m'aimaient pas, et je les ai quittés pour cela, assez vite
en général.
Mais la question n'est pas là. Juste un prologue pour
poser le tableau et la partialité de la peintre en l'espèce.
La question, c'est combien on est quand on est avec un homme marié.
Dans le cas où il
n'y pas partie carrée, je dis qu'on est trois. Lui, moi et la sainte épouse.
Vanille en général. Pas au courant (qu'ils croient, trop trognon).
Ou alors, lui passant ces foucades, qu'il aille fouetter ses chattes,
du moment qu'il rentre à la maison et reste sentimentalement fidèle, ça
va (ce en quoi elles ont raison, les légitimes, la fidélité physique,
surtout sur le moyen et long terme, est un leurre. Ou alors, il faut fréquenter
chaque semaine les fidèles anonymes : "Bonjour, je m'appelle Simon
et je n'ai pas découché depuis 2685 jours" "Bonjour,
Simon !", répond le chœur.) Donc, rien à redire à ce
qu'ils aillent satisfaire leurs pulsions. C'est sûrement nécessaire à une
vie équilibrée. Comme aller à la piscine trois fois par
semaine ou se remettre au point de croix. Chacun fait fait fait... Dans les
années 80, les annonces du NouvelObs étaient truffées
de "marié mais libre". Ce qui faisait un équilibre
avec les célibataires mais occupés.
Dix ans auparavant, j'ai fait la connaissance (je ne me souviens plus dans
quelles circonstances exactes, j'espère que j'étais droguée,
mais en y repensant, y a une nauséabonde odeur de crapoteux qui remonte)
de la femme de Maître Stéphane qui s'appelait Franck (Stéphane,
pas sa femme, je ne sais plus son nom à elle, encore une femme de Loth).
C'était une petite dame anachronique (j'avais 20 ans insolents, Franck
40 alopéciques et Madame Franck 50 en twin set acrylique, 50 ! l'âge
que j'ai maintenant, qui sait si dans Paris, il n'y a pas une pépette
piercée de partout qui me trouve "petite dame anachronique"...),
les cheveux teints et mis en plis, assise genoux serrés sur un canapé en
velours frappé (y avait que lui de frappé dans cette maison),
le téléphone sous une housse genre velours martelé aussi,
couleur bronze, l'accessoire moche tendance de l'époque, le must des
intérieurs bourgeois. On avait beau être aux Halles, on était
loin du donjon ! C'est tout juste si on n'a pas pris le thé ensemble.
Un jour, après que Maître Machin m'a exhibée dans une gargotte à cet
effet, et que seule chez moi mes nerfs ont lâché, j'ai appelé chez
lui (sur le téléphone houssé), c'est madame qui a répondu,
elle a été compassionnelle au possible, maternelle comme tout
et m'a suggéré de prendre un calmant. Tout ça était
tellement surréaliste que je n'ai pas cherché à comprendre
comment ces gens fonctionnaient, le prenant juste comme acquis. Elle était
au parfum et, soit se résignait, soit s'en foutait comme de l'an quarante.
Franck fouettait à temps plein, ou tout comme, n'ayant d'autre activité que
d'écrire des livres illustrés de jeunes femmes en culottes Petit
Bateau jamais publiés. Elle avait donc le nerf de la guerre, lui laissant
le nerf de boeuf, à condition qu'il ne s'en serve pas sur elle. C'était
un couple, pour la vie. Aujourd'hui, si ça se trouve, ils sont toujours
ensemble, ils font tombe commune. Ou ne tarderont pas. La vérité est
peut-être de leur côté, une vérité qui m'échappe,
dans ma soif d'absolu, mais une vérité. Les à-côtés,
c'est la marge grâce à quoi la feuille existe.
© Rosalie O'Connor
Aujourd'hui, au hasard d'annonces sm, on trouve des "marié mais
sincère". Le sincère n'est pas libre, mais il peut dégager
quelques heures, on n'a pas besoin de plus. Viens, poulette, on va se payer
une tranche horaire !
Sincère. Pourquoi ce mot, dans ce contexte, me donne de l'urticaire
? Sincère avec qui ? Avec la femme ? Avec la maîtresse ? Avec
les deux (ou les trois, ou les quatre, héhé, ne négligeons
pas les grands nombres) ? Pourtant, n'y a-t-il pas mensonge quelque part ?
Mensonge chez celle qui pense s'en foutre (mon amie Anne-Marie, à qui
je me plaignais que l'horizon d'un lit, fut-il queen size, finissait par être
un peu bouché et que tout ça manquait singulièrement de
conversations, de temps perdu, de petits riens banaux me disait "pour
discuter, tu as les amies"). Mensonge chez l'épouse qui fait semblant
de ne rien savoir (alors qu'à moins d'être très occupées
- mais sincères - avec les enfants et/ou les amants, elles sont au courant
dès avant le premier rapport, j'en suis sûre). Mensonge, mensongeS,
chez l'homme qui rentre du boulot à deux heures du mat' fleurant bon
le savon frais (il doit y avoir des sites web entiers d'excuses toutes faites
et tout terrain pour ceux-ci, depuis le coup de la panne jusqu'à celui
du nouveau des fusions-acquisitions qui ne comprend rien à rien et qui
n'avait rien de prêt pour le séminaire de demain).
J'ai voulu demander à deux hommes que je connais, qui
ne font pas mystère
de leur mariage et de leur volage, ce qu'ils pensaient de cette sexe trinité.
Le premier a botté en touche, ayant de toute évidence du mal à penser
avec sa bite (il est vrai que même non circoncise, elle n'est pas équipée
pour la philosophie), le deuxième s'est fermé comme un huître
une fois lâché qu'il venait de se faire gauler par sa femme, sa
maîtresse actuelle consentant à me dire en substance "je
respecte qu'il aime sa femme, c'est la femme de sa vie".
Ce qui ne m'avance guère. L'inconscient de l'autre étant infiniment
plus compliqué et long à ouvrir qu'une boîte de thon au
naturel, je reviens à la case départ, celle des supputations
hamstériques.
Peut-être que chez l'amant sm/mari vanille, le bdsm, ça
ne compte pas. C'est comme sucer aux Amériques. D'ailleurs, certains
refusent le sexe (ha bon, et c'est quoi alors, ce qu'il reste ? du poulet ?
de la tarte aux pommes ?), d'entrée de jeu, ainsi, ils sont dédouannés.
Je bande, mais je ne jouis pas. Ou alors, façon Onan, un peu plus tard.
Ou je fais profiter ma dame de ce trop plein de bonne humeur. La backstreet,
elle, compte alors pour du beurre, comme disent les enfants. (La sincérité susmentionnée
consistant à ne pas faire de serments ni à glisser son alliance
dans sa poche.) Dans ce cas de figure, on en serait toujours à deux,
elle et lui, la deuxième bureau n'étant qu'un épigone
fantasmé d'une épouse qui se régalerait de jeux moins
planplans.
D'ailleurs, si nous sommes trois quand nous sommes tous les
deux, sont-ils pareillement trois quand ils sont tous les deux ? Je persiste.
Je n'ai jamais réussi, avec les hommes mariés, même si
mes rapports avec eux jouaient une musique très différente de
celle du conjugo, à oublier
que cette queue qui me remplissait, cette main qui me frappait mais me caressait
tout autant, allaient, quelques heures plus tard (ou venaient de quelques heures
plus tôt) fourrer un autre con, jouer du piano sur une autre peau. Cette
langue dans ma bouche, ces dents sur mon téton, salivent les sucs d'une
autre. Et je l'avoue, ça m'ennuie. Mais quand, encore imprégnés
de moi, de mes humeurs, mes cris en écho résonnant toujours dans
leurs oreilles, le souvenir bouillant de mes fesses tendues qui caressent leur
sexe, ils se glissent entre les draps approuvés par le maire, ne suis-je
pas la virtuelle porteuse de chandelle (celle-là même qui a suinté sur
mes seins) entre les appliques de part et d'autre du lit marital ? Et elle,
l'alliée, qui porte son nom et a porté ses enfants, sent-elle
contre sa chair ma présence comme moi je sens la sienne ? Est-ce qu'un
jour, elle lui demandera de la battre (serre les dents, camarade, et pense
à l'Angleterre !) pour le satisfaire pleinement comme moi je pleure de n'être
pas l'aimée
?
Alors, deux ou trois ?
(Le mot marié est utilisé par commodité.
Collé,
pascé, bagué, fiancé conviennent tout aussi bien et peuvent
s'y substituer.)