Le nouveau roman de Jacques Serguine s'appelle L'attendrisseur. Le titre, déjà. Il a les vapeurs puissantes d'un alcool fort. Je pourrais m'arrêter là, sur ce mot et son article, suspendue comme l'apostrophe, en équilibre enivré. Ça me parle, ça doit parler à beaucoup d'autres, tout est dit. Si j'aime tant me faire fesser, comme je le rappelle souvent, trop, quasiment en boucle, c'est parce que je suis sûre que cela m'attendrit. Mais là n'est pas la question. La question, c'est comment Serguine se débrouille-t-il pour en parler si bien, si précisément, si méticuleusement et si sensuellement à la fois, avec des tournures parfois surannées et des beaux mots précieux, avec des sentiments vifs et un amour toujours (qu'on se souvienne d'Éloge de la fessée).
Pour ceux dont le titre ne ferait ni raisonner (attendrir comment ça ?) ni résonner (attendrir quoi ?), la couverture blanche (assortie au nom de l'édition), ornée d'une petite photo de Patrick George, appartenant à la si belle série des Signatures, éclatante de joie cerise sur une peau hâlée, désigne de la paume l'objet du délit, et donne envie de s'incliner sur les premiers genoux qui passent, pour peu qu'ils aient bonne mine et bras adroit.
C'est bien de désir dont il s'agit à chaque page, un désir prégnant, brûlant, exprimé, exsudé, dénudé, envié...
"En fait, l'agent réel, agi et acteur, est simplement une fessée. Non, la Fessée plutôt, avec une majuscule ; il va de soi que les derrières sont minuscules."
Jacques Serguine est le narrateur, celui par qui la fessée originelle arrive (dans le jardin mal calfeutré d'une villa de station balnéaire méridionale, sur le cul d'une altière et incandescente beauté noire) et de là, une contamination quasi virale parmi les filles du bord de mer. Deux femmes assistent, le même jour peut-être, mais pas sûr, à cette fessée d'amour, et elles en conçoivent grand et légitime émoi, jusqu'à vouloir, donneuse ou receveuse, s'y (sou)mettre. L'une va fesser son gros bébé (chez Serguine, les filles de 17 ans sont nommées bébé... et prions pour les organisations plus fachos que familiales ne hurlent pas au crime pédophile) l'autre, à peine plus âgée, va demander à son amie d'été de la retourner sur ses cuisses et de l'enluminer.
C'est Pauline à la plage sur les genoux de Claire, avec la fessée dans le rôle du mistigri d'une Ronde.
Personne n'écrit sur la fessée avec cet amour et cette tendresse (sans parler du talent, tant trop souvent les récits de ce genre relèvent plus d'harlequinades que de littérature). Le cul devient le cœur de tout, la beauté, la paix, le bonheur. La fessée n'est qu'attention, amour, affection.
Oh, et puis il faut le lire, et s'en prendre (ou en donner) une bonne. Ou deux. Ou trois. Et encore demain. Et après-demain.