Rue Bricabrac, bdsm, masochisme
photo Nad Iksodas

IL a monté le chauffage pour que je n'aie pas froid. Au bout de quelques minutes, j'en avais presque oublié que j'étais attachée nue sur la banquette neuve, faisant corps avec celle-ci, mes seins et mon ventre confondus avec le cuir cramoisi, membres solidement joints aux quatre jambes du meuble. Je ne pouvais que bouger la tête pour parfois apercevoir ses cuisses. Et puis plus rien, juste l'habituel plancher et les meubles autour. Tandis qu'esseulée et préférant mille fois la pire correction à son inattention, Sibelius étirait les accords de Tapiola dans ma tête, il a mis du Stravinski assez fort, opéra de feu pour un duo volcanique.

Je l'ai tout de même entendu s'approcher, étoile de Diaghilev qui s'échauffe, jouer des deux cravaches comme un dompteur jongleur en coulisse, déployer au lancer les lanières des floggers qui sifflent plus de trois fois, étouffer la percussion des battoirs sur sa cuisse capitonnée de tweed.

Il a ensuite joué doucement avec mes sens. J'ai respiré le cuir, écouté le latex, regardé le bois, léché sa main, frotté mon visage à son entrecuisse. J'ai frissonné, non pas de froid ou de crainte, mais sous les caresses trop exquises. J'ai ronronné sous ses attentions, j'ai essayé d'onduler aussi, mais il m'avait trop bien associé à sa dernière trouvaille, ce banc kitsch, ni de piano, ni d'enfant, un truc de chez Drouot qui aurait pu venir de chez Roméo, des dorures pour une roulure, mais qui était parfaitement à ma taille.

Sans sommation, la cajolerie attendue a traversé mon dos comme un éclair sanglant. D'une omoplate au rein opposé, c'était comme si tous mes sens étaient sortis de leur domestiquage. Des larmes dans mes yeux, un haro de bête, un sursaut qui a entraîné le banc, et une première tache sur le cuir. Pourtant, j'avais souvent eu plus mal. Mais pas depuis longtemps. Ou alors, le déferlement des caresses habiles m'avait ramollie pour que le pain n'en cuise que plus.

Tandis que mon côté face collait, tout en sueur de peur et de douleur, au petit banc, mon verso prenait la couleur du cuir. Ambidextre et sans pitié, il variait l'intensité et la cible de ses coups. J'avais l'impression, pourtant plus immobile qu'une gisante, de tournoyer dans mon corps, d'être un Picasso, la nuque à la place du mollet, de ne plus m'appartenir, mais d'être une nouvelle personne de cabosses et de bosses qu'il sculptait selon ses envies, sans soucis de mes pleurs, les apaisant parfois de baisers mouillés eux aussi, buvant mes larmes pour lécher mes plaies d'embrassades salées, m'offrant des jouissances en entracte, forçant ma bouche tout en la faisant taire.

Quand il n'en eut plus la force, ni l'envie, ou qu'il a senti que j'étais aussi à bout et qu'il me fallait quelque récréation, il m'a détachée, mais en lieu du cocon de son corps, il m'a conduite par les cheveux, fiévreuse de sa correction et la peau portant fort et net la signature de l'heure qui venait de passer, de l'autre côté de la baie vitrée, sous l'averse. Indifférent à mes poings qui cognaient au carreau, sachant que la pudeur m'interdisait de m'éloigner ne serait que de cinquante centimètres pour trouver un pauvre abri, me regardant en souriant.
Quand il se déciderait à me laisser rentrer, ce serait évidemment pour me réchauffer. Recto.

tags technorati :