Je ne sais plus très bien ce qu'il s'était passé. Les causes sont floues. J'avais été méprisante, exaspérante, arrogante, empoisonnante, insultante, blessante. Je m'étais emmurée de mauvaise foi, drapée de provocation, caparaçonnée d'hystérie. J'avais été pénible, tempestueuse, dévergondée. J'étais malheureuse et je cachais cette peine derrière de l'agressivité. Je n'arrivais à lui dire ce que je voulais que par des périphrases haineuses.

"Je vais te donner vingt coups de cravache. Vingt seulement, oui, pas cinquante, pas cent. Mais chacun d'eux sera appliqué de telle manière que tu t'en souviendras longtemps."

Au mot cravache, j'ai frissonné. C'est toujours comme ça. Si le mot badine est amusant, ceinture familier et canne confus, le mot cravache porte en lui le cinglant et le cruel de l'instrument. Ce sont deux syllabes qui éructent. Et puis des quatre, la cravache est un outil de dressage, sans conteste, qui brise les pouliches les plus rétives. Le mot résonnait tant en moi, courait dans mes veines, que j'en ai oublié de tenter un pardon.

"Pour cela, je vais t'attacher solidement à ce fauteuil. Et te bâillonner, parce que je n'ai même pas envie d'entendre tes cris."

Hypnotisée, je me suis déshabillée moi-même, sans même plus chercher d'arguments de défense. Je n'aurais pas cru que l'on puisse à ce point d'étroitesse faire corps avec le cuir. Peau contre peau, mais laquelle était la mienne ? La plus claire, mais je n'étais pas en position de l'apprécier. La moins tannée, mais plus pour longtemps.

Il a frappé, en prenant tout son temps, et pareillement son élan. Je sentais l'air déplacé par son corps quand il avançait prestement de deux pas et pivotait, plutôt que de lancer seulement le bras. Sans aucun doute le swing était parfait. D'ailleurs, la matière était déchirante comme un fer. Mes hurlements emplissaient ma tête, j'essayais de compter, à rebours, je ne sais plus pourquoi, maîtriser encore un peu, même le supplice. Son souffle à chaque effort ne faisait qu'un avec le sifflement de la cravache et le bruissement de sa volte. Il me faisait mal contre lui aussi. C'était un duel à deux perdants. (Ou deux gagnants, qui sait ?) Je n'étais pas habitée par la douleur, c'était au-delà, à peine si elle laissait encore la place pour autre chose, pour ma pensée ou pour ma respiration.

Les coups se sont arrêtés, bien après que le temps s'est détraqué et la raison a démâté.

"Je viendrai te détacher plus tard."

Dans le silence soudain insolite, il n'y avait plus que la brûlure et moi, en tête à queue, le cul en tête. Quand les larmes se sont tues, quand j'ai ouvert les yeux, j'ai vu que le lourd Chippendale avait glissé d'un bon mètre.

Rue Bricabrac, bdsm, punition
Photo Magic Zyks
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