Si je devais donner une couleur à mon plaisir, ce serait évidemment le rouge. Les rouges. Ils ont de si beaux noms qu'on aimerait à chacun leur associer une émotion, la peur crierait en cramoisi, l'attente rongerait son corail, la douleur exploserait en flashs amarantes.

Le rouge, c'est ce qui me saute aux yeux quand tu les fermes d'un bandeau, un bordeaux, presque noir tandis qu'un autre rouge, trempé du blanc de la frayeur, comme celui des roses sans passion, me monte aux joues, et pigmente mes aréoles d'un sienne plus soutenu. Un garance inhabituel colore mes lèvres que je mords, d'impatience, d'appréhension, de désir qui n'ose se dire. Ce flux d'hémoglobine qui vient me chauffer le giron me fait les mains de neige et les pieds de glace. Pour un peu, ils seraient bleus (mais on le sait, ce jour, même le bleu est rouge).

Le simple contact de ton doigt qui caresse mon bras, dessine l'épaule, frôle la nuque, musarde entre les omoplates, affleure les reins, laisse son trait nacarat sur ma chair nacrée, promesse de grenadine et d'andrinople. J'ai hâte de teintes plus soutenues, de rubis en pluie, de grenat en vrac, mais pour rien au monde je ne renoncerai à ces effleurements légers comme des pétales de pivoines qui me font trépigner, haleter, supplier, sans un mot, mais en ordonnant à mon corps d'ondoyer vers toi pour que tes mains n'y tiennent plus, et que tu consentes à verser des alcools plus forts. Je danse et tu me cadres. J'ai cette obscénité du mime impérieux qui se fracasse à tes euphémismes.

Encore plus blêmes que mes mains, ce sont mes articulations, contractées par trop d'attente, toutes de nervosités et d'envies enfermées. Mes pensées sont cramoisies, j'aimerai, un deux trois, aller au bois, cueillir des coquelicots, quatre cinq six, manger des écrevisses, sept huit neuf, voler une flambée de fraises, cerises, groseilles, framboises bien mûres. Mon corps est là, pour toi, il est ta scène, tu es le metteur, fais de ma peau un rideau de théâtre, passe-velours ou pourpre, selon ta force, ton humeur, ton plaisir. C'est la nuit noire, et tu as jusqu'à l'aurore pour lui donner les couleurs de notre arc-en-fiel monochrome.

Adoube-moi d'ultra-rouge, contamine-moi de ton feu intérieur, laisse ta part d'ombre devenir vermeille, sers-toi de ma chair pour brûler tes démons, frappe-moi de tes coups de sang, pacifie-toi au son de mes rugissements.

Rue Bricabrac, bdsm, érotisme, Annette Messager
Installation d'Annette Messager photographiée par *Christine
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