Lux
Demain, deux parmi les principales religions monothéistes vont allumer des bougies, pour des raisons différentes, la coïncidence n'est que calendaire. Et aux Etats-Unis, sans souci des religions, les afroaméricains célèbrent Kwanzaa, cette fête des fruits dont les lumières ne sont pas absentes non plus.
Ce blog, comme ma vie, étant garanti sans dieu (ni maître), les
bougies ne seront pas de la triste cire dont on fait les chandelles ou les
votives, mais de celle en confettis qui constelle les corps. J'ai envie, c'est
de saison, d'une célébration. Toute païenne. Dyonisaque.
Orgiaque.
Les bougies sont prêtes, rouges, violettes, oranges, gai bouquet. Leur
contact est mat pour t'être agréable à la paume, leur allure
patinée, pour avoir l'air d'être venues d'un temps lointain.
S'il y a, pour moi, une pratique où l'aveuglement est indispensable, c'est la bougie. Quand tu passes devant mon visage pour attiser mes tétons, j'en perçois l'éclat, malgré l'épais bandeau noir. La chaleur m'égare, parfois proche de mes omoplates, mais la brûlure est pour mes reins. La surprise fait partie de la fête.
Mon corps, en général, je le sens de l'intérieur. Articulations, muscles, nerfs, organes. Quand il va bien, je ne le sens pas d'ailleurs. Quand nulle fièvre ne provoque des courbatures, quand aucune affection ne vise la vésicule, quand les mouvements ne braquent pas le dos, on oublie qu'on possède un corps. On ne sait pas forcément qu'un éclat de rire mobilise plus de muscles que le développé couché. Certains font du sport, et prennent ainsi une conscience, souvent trop narcissique, de leur corps. Ils s'y font mal aussi, et aiment cela. Les endorphines sont leurs amies. La douleur fait des danseurs et des acrobates les plus belles anatomies du monde. Il y a des passerelles entre les sportifs et les masochistes. Dans cette conscience aiguë du corps, dans ce façonnage à la dure.
Je te parlais, pour l'avoir lu dans les récits fulgurants d'un certain
Sanclar, que les marques laissées par quelque martinet mordant ou chat à une
longue queue, était des "traces de vie". Et une bonne fouettée,
sans que je sois dans la position idéale pour en lire les empreintes
immédiates, me réveille à la vie dans ce qu'elle a de
plus coruscant, comme quand on la chevauche tout en haut d'une grande roue
ou d'un roller-coster qui ne descendrait jamais. Les jeux avec bougies participent
de ce principe. Les détours, les contours, les pleins et les déliés
de ma géographie sont mis en exergue par ces gouttelettes ou coulées
de cire, le corps prend sa vie propre, parcouru des ondes sensuelles des frémissements
de peur puis des mouvements endiablés des réflexes incontrôlables.
Alors je te supplie de m'attacher pour qu'une chandelle dans chaque main, tu
l'envolutes contre sa volonté, dessinant ces guirlandes incandescentes
qui me rendent serpentine. Enfiévrée et affolée, déconcentrée
par l'éparpillement des pointes de feu, j'oublierai tous les autres
maux, les cauchemars quotidiens, les angoisses routinières. Mon immanquable
inquiétude fondra sous la fusion. Comme elle le fait sous la chaleur
de tes fouets.
samedi 24 décembre 2005 / Un grain de sel