Double punition


Calligraphe : Michiyo Yamamoto

Presque haque semaine, dans Courrier International, un mot japonais, en rapport avec l'actualité, est calligraphié avec déliance.

Celui-ci signifie double punition ("ryôseibai"). Je regarde, à cet éclairage, les idéogrammes comme s'ils étaient la stylisation de quelques peintures réalistes. Je ne peux de toute manière pas les regarder autrement. Et ils me parlent de... double punition justement.

(Que les japonisants me pardonnent, je n'entends rien à cette langue, je suppose que chaque idéogramme signifie tout à fait autre chose que le sens que me dicte mon addiction, mais j'aime les mouvements des pinceaux, des mots, et les lettres comme des corps, et les corps comme des lettres.)

Le premier idéogramme est sobre, presque succinct. Trois coups de pinceau. Je n'ai pas de mal à imaginer un homme, assis, qui a retourné une femme sur ses genoux, arc bandé aux extrémités détendues. C'est la première punition, fondamentale (et fondementale aussi) une fessée de base, dans toute son éclatante et percutante simplicité. Le dessin est noir, mais il n'y pas de difficulté à deviner ces joues mafflues passer du rose au rouge, poudroyant comme une lune rousse. Elle pourrait suffire à punir, cette fessées méthodiquement appliquée, il a les mains larges et calleuses, elle ne déroge pas une seule minute à son imposée position bombée et complice (ça fait partie de la punition). Les coups portent profond, endolorissant les muscles pour longtemps.

La seconde punition est illustrée par le deuxième idéogramme. Dressé, dresseur, droit comme on prétend qu'est la justice, l'homme joue du fouet avec vigueur, avec ferveur. Si c'était un théâtre, ce serait une messe, mais ce n'est rien de tout cela. C'est juste de punition qu'il est question, pas de rituel, pas de spectacle, pas de représentation. De la beauté pourtant. Terriblement. Ses mouvements inventent des douleurs renouvelées. On le voit sur le corps de la femme, à gauche, tordue sous les lacérations, les volutes de la mèche imprimant dans sa chair des spirales de souffrance. Elle accepte, parce que ce sont les termes du contrat. Ce n'est pas un jeu, ce n'est plus un jeu. Elle est aussi fragile et impuissante qu'une feuille de papier.

Le dernier idéogramme est un épilogue. La femme porte les multiples marques du châtiment. Son dos, ses fesses, ses cuisses, son ventre, ses seins sont rayés en tous sens de sillons boursouflés. Si elle tient encore debout, c'est qu'elle est attachée, mains jointes, à une poutre. Il a posé le fouet, il bande comme un cerf et de ses lèvres trop douces, il embrasse les centimètres de peau épargnés par la lanière, baisers qui trouvent leur place, dessinée par croisillons qui s'assombrissent.

Les idéogrammes étant parlants mais pas parlé, il n'y a évidemment pas de bande son à cette interprétation.