Tu m'as appelée il y a deux jours pour me parler d'un nouveau fouet. Un chat à neuf queues, tu as dit. C'est ainsi armé que tu m'as réoffert des services presqu'un an après que je t'aie laissé tes claques et que je sois allée promener mes clics sur les supermarchés du bdsm pour te trouver un remplaçant.

L'idée était plaisante en soi, puisque promettant d'être cuisante et me caressant dans le sens appuyé que j'aime tant ; la proposition possédait la malhonnêteté que l'on est en droit d'espérer quand on aime les choses du sexe et du sm ; et puis inaugurer en pleine poupe un fouet tout neuf a la joyeuseté des crémaillères.

Pourtant, revenir me courber sous ton cuir ne m'attirait pas plus que cela. J'avais arrêté notre relation, lasse de ta parcimonie, de cette façon sèche que tu avais de distiller ton temps comme un homéopathe chiche, désireuse de passer à la vitesse supérieure. Tu parlais au futur mais tu vivais à l'imparfait. En même temps, ton corps comme tes coups me sont familiers, comme le sont pour toi mes courbes et mes craintes.

Alors je t'ai proposé de venir avec mon amant. Depuis le temps que j'avais envie de deux hommes, l'occasion ferait la luronne. Vous n'avez rien, l'un comme l'autre, contre la présence d'un autre, et vous portez le même prénom, c'est pratique. Ca se rapproche de mon idéal de fantasme à quatres mains, elles appartiendraient à des jumeaux... Eponymie à part, je désire depuis si longtemps ce moment où deux hommes s'occuperaient de moi, rien que de moi, c'est un truc de petite fille, une rassurance narcissique, un bonheur régressif, et un je ne sais quoi de boulimie. Et si j'étais une fillette narcissique et boulimique ?

J'ignore si tu as fait contre mauvaise fortune bon coeur, si tu avais faim de ce trio, ou envie de moi, ou envie de cet inconnu, ou besoin de faire claquer ce fouet. Mais tu as accepté le principe du jeu à quatre mains.

Je ne savais même pas si j'allais supporter la situation, le contexte, l'action... comme à chaque fois qu'un de mes fantasmes s'apprête à prendre chair. Mais dans mon cinéma permanent, je rêvais déjà de cette queue dans mon cul qui caresserait à travers la membrane si ténue le sexe fouraillant dans ma chatte. Je m'enivrais à l'idée de vos quatre paumes en toccata sur mon corps qui finirait par avoir et la fièvre et la fugue.

Comme pour m'anesthésier l'émotion, j'avalerai une double vodka avant de partir. C'est donc euphorique et loquace que j'arriverai chez toi, encouragée, effrayée, émoustillée par les regards et les paroles de B. sur le chemin. Au delà de ce qui m'arrivera, j'espérerai que vous vous plairez, qu'il y aura de la vodka Kalachnikov dans la cuisine, que je pourrai m'en siffler de gorgeons goulus pendant que vous ferez connaissance.

Je serai plus groggy de trac que d'alcool.

Et puis je reviendrai me blottir contre B. Je me sentirai lourde. Je serai lente. Je serai (un peu) saoule. J'aurai envie d'être prise en charge, comme jamais. Alors je surjouerai un peu tout cela, façon évaporée, happy hour et cocktail lounge.

Je serai dans du coton, détachée et flottante, dans l'attente que tout s'emballe. Je sais comment tu peux passer d'une conversation anodine d'après repas à des gestes plus durs et comminatoires. Tu me prendras les poignets dans une main et le menton dans l'autre, fermement, et tu me murmureras à l'oreille les maux qui m'attendent. Ta voix sait se faire douce et onctueuse. Je frissonnerai tandis que B. me nouera sa cravate en bandeau, m'aveuglant pour mon plus grand délice. De toutes les manières, j'aurais fermé les yeux.

Vous aurez les cartes en main, et je ne serai qu'une de ces cartes à jouer.

Vous seriez deux. Deux. D E U X. Ce chiffre si simple, si menu, m'entraînerait déjà dans un vertige, à lui seul suffisant.

Vous me déshabilleriez. J'essaierais de reconnaître les gestes de l'un, les mains de l'autre, tes lèvres, son souffle, son tweed, ta laine. Jusqu'à ce que je n'y arrive plus, poussée par l'un dans les bras de l'autre, rudoyée, tutoyée, triturée, trémoussée, tiraillée, raillée, reliée, liée, en rut. Oui, en rut.

Vous deux aussi. Je vous sentirais bander contre moi, quand je m'échouerais sur vos corps. Tandis que vous m'échaufferiez de pincements et de claques, d'empoignades et de baisers, je me plairais à imaginer votre excitation. J'adorerais l'idée d'être celle par qui ces érections arrivent. Ce serait puéril, mais je serais partie et horny.

Ces préludes innocents pourraient, me concernant, durer toute la nuit, mais l'heure des sévices plus épicés sonnerait.

Des bracelets entraveraient mes chevilles, et tandis que l'un, B., je ne saurais m'y tromper, me maintiendrait, l'autre, toi donc, me fouetterait. Presque délicatement pour commencer, puis de plus en plus frénétiquement, dans un crescendo étudié, à croire que la présence d'un alter ego (ou d'un concurrent ?) te rendrait encore plus minutieux qu'à l'habitude. Mes fesses, mon dos et mes cuisses prendraient feu, aucune fraîcheur réparatrice, langue passée sur les zébrures, pulpe de doigts légers, ne viendrait éteindre cet incendie et je crierais dans la bouche collée à la mienne. Vous échangeriez vos rôles, et avant la seconde danse, des caresses douces et polies sur les coups, appuyées et insinuatrices sur mon sexe, m’auraient transformée en fontaine. Je ne tiendrais debout que grâce à toi, tuteur inflexible, alors que s'abattraient sur moi de nouvelles volées.

Je jouirais une première fois par et dans ta bouche, et tu planterais dans mon con encore palpitant le manche gode du fouet dont vous viendriez de vous servir. L'espace d'un instant, visualisant le grotesque du spectacle que je devrais représenter, j'aurais un mouvement de dégoût, mais un sexe s'enfilant dans mon cul me ramènerait dans la situation. Je ne vous aurais pas encore tous les deux en moi, ce ne sera pas encore cette rude prise en sandwich que j'espère depuis tant d'années, mais entre le sexe de cuir et celui de chair, je me sentirais pleine.

Plus encore que je ne le pensais quand, debout sur une chaise, tu mettrais ton sexe dans ma bouche.

Je serais secouée comme une marionnette, ballottée de la verge de l'un au pénis de l'autre, branlée, sucée, et ces quatre mains déjà enverraient mes pensées vers la surenchère, deux mains de plus, ce serait...

Viendrait le moment pour ce tout neuf chat à neuf queues qui prendrait sa première patine contre ma peau déjà rose vif. Comme tu me l'avais laissé entendre, il serait cruel. Attachée en croix sur ton lit, je n'y pourrais rien. Ni me dérober, ni regarder l'instrument du supplice dont je ne saurais que le méchant sifflement et la pesante morsure. Je pourrais au moins crier, tant pis pour les voisins, ce sont les tiens. A force de me débattre je perdrais mon bandeau, mais toute velléité de tourner la tête serait punie par un ou deux ou trois cinglements plus secs, et je n'en aurais pas besoin. Vous vous relaieriez, vous me parleriez, je répondrais à vos injonctions conjuguées, mais je commencerais à naviguer dans cet entre-deux où la douleur rencontre les endorphines et je me ficherais du reste. Je ne serais que la somme des centimètres carrés de ma peau et de mes muscles, endoloris, gourds, épuisés et pourtant, si terriblement existants à cet instant précis. À intervalles réguliers, une main viendrait vérifier et me faire remarquer à quel point je suis trempée, me tripotant le bouton au passage.

Plus tard, B. me demanderait combien de temps je pense que cela a duré. Je dirais deux heures. Tu rectifierais : vingt minutes. Vous me détacheriez. Tu te glisserais sous moi, pour m'envoyer bien au delà d'un 7ème ciel avec ta bouche gourmande tandis que mon amant enfoncerait sa queue dans ma bouche. Ce n'est qu'au moment de ma jouissance que vous me prendriez entre vous deux, sur le bout des orteils, une bouche dans mon cou, une langue dans ma bouche, mes mains ne sachant plus sur quel corps prendre appui, avec l'envie de vous submerger de caresses, d'explorer vos corps, d'en embrasser comme un merci chaque parcelle.

Ma tête tomberait, mes paupières papillonneraient, je serais épuisée. Vous m'allongeriez alors, avec une infinie tendresse. Endormie, je ne verrais pas votre étreinte, je ne saurais jamais s'il y a eu quelque chose entre vous sans moi.