Rue Bricabrac, bdsm, geisha
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EN regardant Inju de Barbet Schroeder, et bien que nourrie de cinéma japonais, notamment celui de Mizoguchi (pour rester en thème), j'ai prêté une attention particulière à ses geikos, un oeil un peu plus "technique".

J'ai connu des hommes qui ne cachaient pas leur attirance pour les femmes asiatiques en général, japonaises en particulier, à cause de leur tendance naturelle, disaient-ils, à la soumission. J'ai croisé des femmes qui piaulaient vouloir être maikos, qui se déguisaient en geisha pour faire une surprise à leur maître.

C'est à eux, à elles, que je pensais en voyant ces créatures (comme d'un autre âge tant le rite et le costume sont immuables) s'agenouiller prestement pour ouvrir une porte, rentrer dans une pièce, déposer une tasse, se relevant avec une même aisance gracieuse, comme si ce mouvement (je mets quiconque au défi d'essayer, c'est plus compliqué qu'un télémark, on ne peut s'aider des mains, ça demande de l'entraînement) était aussi simple que lever le bras. Pour tous ces hommes qui adulent la soumission de tous les instants, la femme à genoux est un délice. Et la geisha est l'archétype de la femme à genoux. Ensuite, seulement, vient la pénitente.

La geisha (qui n'est pas une pute, se plaît-on à répéter, même si elle, où plutôt la maxé de la maison de thé et autres plaisirs vend très cher sa virginité) excelle dans les arts de compagnie tels que danser, chanter, arranger les fleurs et servir le thé. Rien qui ne dérange la parole et la geste masculine.
La geisha (qui n'est toujours pas une travailleuse du sexe multiqualifiée même si elle se choisit un protecteur thuné qui lui fera des tas de cadeaux coûteux et se paiera sur la bête si l'envie avinée s'en fait sentir) ne moufte pas, on ne l'entend pas respirer, elle est maquillée jusqu'au masque, entravée dans ses kimonos compliqués qui ne lui permettent que des pas menus et interdisent la fuite.

La geisha d'Inju, qui n'est donc pas une prostituée, se prosterne aux pieds de l'homme qu'elle veut séduire et lui suce langoureusement les orteils, l'un après l'autre, pendant un temps suspendu. C'est cette image précise de la geisha (dont il est certainement très réconfortant pour l'ego de penser qu'elle fait cela par amour et non pour l'argent) que portent, gravée au fond de l'inconscient, les hommes qui rêvent de faire jouir une femme (figée dans des codes ancestraux, frigide de tout sentiment personnel) au chignon laqué et au teint de neige.

Reste à savoir si cette femme existe, même quand une soumise murmure des mots qui se terminent en sha ou en ko.

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