Rue Bricabrac, bdsm, Alain Robbe-Grillet, roman

VENDU sous scellofrais, le nouveau Robbe-Grillet ironiquement, mais justement titré "Un roman sentimental" se présente doublement capoté. Car une fois la fine pellicule de plastique déchirée, c'est un ouvrage non massicoté qui expose son papier crème et épais. Comme plusieurs générations ont perdu l'habitude de ces ouvrages dont il fallait patiemment couper les pages verticalement et horizontalement, l'éditeur a collé un sticker sur la couverture recommandant pour cette dépucellisation l'usage d'un instrument coupant plutôt que ses doigts.

Vient le dilemme : couper patiemment l'ensemble puis lire ou couper au fil de la lecture. Si l'on choisit la première solution, il faut prendre garde à ne pas lire en même temps, une phrase ici, trois mots là. Dans le cas de la deuxième, il faudra éventuellement réfréner son impatience lectrice pour soigneusement séparer les feuillets. On peut aussi choisir une troisième voie, celle du voyeur, et lorgner entre les fentes. Ce qui irait assez bien avec ce livre.

Sulfureux, évidemment. Provocateur, pas moins. Attendu, pour qui connaît l'auteur. Vieux cochon, vu le sujet. Admirable, quelle écriture ! Repoussant, à l'heure du politiquement correct. Bourratif, par répétition. Fatiguant, par overdose de références.

Robbe, dont personne n'ignore le goût pour les tableaux vivants et les fantasmes à propos des jeunes filles, connaît son sm sur le bout des doigts, des sensations, des mots. Il ne manque aucun motif du genre, depuis les sacrifices des jeunes et belles filles chrétiennes par des Romains qui ont dû inspirer la future sainte Inquisition (les vie, et surtout les morts des saintes consignées et compilées par quelque moine pervers peuvent rivaliser sans peine avec ce roman sentimental, sang et mental) jusqu'à l'éducation des filles par leur père et les poupées vivantes. On y fouette, et les coups se nomment cinglons. On y enconne, et le sexe féminin s'appelle sadinet. On y passe de l'Histoire aux contes de fées qu'une Annie Rice n'oserait jamais même penser, se cantonnant à la fantasmagorie proprette. Ici, c'est sale, suintant, barbare, excessif, exagéré.

"Ensuite ma fine lanière de cuir raide s'est abattue dans l'entrejambe selon diverses orientations. La peau, fragilisée par les flammes ayant léché le pubis, la vulve et l'intérieur des cuisses, a tout de suite ruisselé de sang."

C'est du fantasme, juste du fantasme, du fantasme bimaniaque (pédophile et sado-masochiste), mais du fantasme. Qu'il faut impérativement cliver de la réalité. Je ne pense pas que le pédophile de base ait jamais lu Robbe-Grillet, que le maîtraillon à la con qui pense qu'"Histoire d'O" est la nouvelle bible non plus, et que Robbe n'est pas Matzneff. C'est une fiction (où ne manque aucun des thèmes déjà traité dans le roman ou le film par ARG), pas un récit.

Dire que c'est sublimement écrit est un euphémisme. Et quoiqu'on pense de ce livre, il y a quelque chose de troublant : il ne donne pas une seule seconde envie de se branler. Et si on se trouvait devant un authentique ouvrage subversif ? Un pied de nez d'un vieillard qui sait que le temps lui est compté ?

Je n'ai aucune réponse, je ne suis pas sûre de souhaiter recommander ce livre (ou alors à certains, rares, qu'il n'étouffera ni ne choquera ainsi qu'à Marcel, pour la qualité sensuelle du papier et parce qu'en ce moment, il doit ruminer dans les embouteillages), mais je suis heureuse qu'il ait été écrit.