On peut en ce moment aller se promener dans les jardins du Palais-Royal, galerie de Valois, à l'abri de la pluie, histoire de voir si ce modèle qui fait déjà vaciller les seuls yeux, de Pierre Hardy, serait en solde. Ou alors, cet autre-là, comme ces plates-formes shoes de drag-queen que je jurerais recyclées dans une boîte en chocolat noir et or, ou dans le papier-cadeau à rayures qu'affectionnait ma mère. Et puis non, ici comme ailleurs, les modèles soldés sont principalement ceux dont on n'a pas envie.

Ce doit être le principe des soldes. On ne trouve que ce qu'on ne cherche pas. Au début de la semaine, une toute jeune soumise m'a abordée. Bonne petite soldate, elle a tenté de me recruter pour son maître (voir épisodes précédents, après qu'il l'a prise par tous les trous et posé son premier anneau, mémètre envoie sa cruche michetonner de la chair fraîche - en matière de nouveauté, pourtant, il y a perdrix plus jeunes que moi...). Comment pouvait-elle une seule seconde penser, m'ayant lue disait-elle, que son proprio (beau comme un dieu, elle a dit) serait capable avec ses miettes de masteritude, et son aide de switch occasionnelle, de me satisfaire ? Je possède l'insatiabilité des boulimiques. (J'exagère. Il m'est arrivé d'être rassasiée. Une fois. Ou deux. Peut-être trois). Comme j'aimerais avoir un appétit d'oiseau, la vie serait plus facile. Les soldes aussi.

Ça brade de tous côtés, les maîtres de seconde main, les soumises invendues. Tout doit disparaître. Y a un preneur ? Je reçois très bien et à domicile.

Justement, je n'ai pas envie de disparaître, mais d'apparaître. Et pour me faire apparaître, il faut révéler mon corps à coups et à cris, à cire et à cru, stimuler mon esprit de désirs extérieurs. Telle quelle, je suis une ombre, un creux, un vase vide, un simulacre. Quand des mains parcourent ma peau, pour la malaxer ou en prendre la mesure, cambrer mon pied, encercler mes hanches, explorer mes creux du doigt ou de la langue, poser un joug sur ma nuque, cingler mes contours, ma silhouette prend forme, le trait qui la dessine s'accentue, et je commence à retrouver une existence. Sartre disait qu'il fallait, pour s'en convaincre, se mordre tendrement l'épaule. J'ai besoin de plus de morsures que cela.
Et sous la cuisson, l'essence apparaît, comme le génie de la lampe, comme une flammèche vive.

Alors, jeune fille, tu vois, ton petit bout de maître à mi-temps, quel plaisir peut-il me donner ?

Je me demande même si un seul homme peut me suffire ? Je commence à m'épanouir quand ils sont deux à me faire mon affaire. Simultanément. (Il ne s'agit pas d'avoir Mister A et Monsieur B en alternance, le dimanche restant le jour sans saigneur, mais avec arnica, manucure et soins des pieds.)
Trop n'est encore pas assez, je n'ai aucune mesure, je ne veux pas en avoir. Je préfère rien à peu. Ce n'est sûrement pas qu'une question de sexualité. Mais en ces lieux, ce le sera. J'aborde l'autre comme une béance, une immense demande à satisfaire, à combler (au sens du puits ou de la tombe). Dans ce gouffre, il y a comme des chauves-souris de mauvais augure, des questions sans réponses possibles, des points d'interrogation que je voudrais d'exclamation, des douleurs mal raccommodées, des mémoires sans souvenirs, des hontes pas encore bues, des moutons noirs innombrables. On n'est pas masochiste pour rien...
Le seul moyen de faire taire ce tchoutchou infernal, ces bruits des temps modernes, ces stridences perce-tympans, c'est de m'assourdir de ces claques de caisse claire qui rebondissent de la chair aux murs, ces fouets qui sifflent et s'abattent, ces battoirs qui renvoient la douleur au plus profond.

Et je me tais enfin, une queue dans ma bouche pour que je sois seule à m'entendre crier tandis que dans mon dos, les lanières dansent le jazz, la java, le hip-hop et la polka piquée.