Rue Bricabrac, bdsm, Vanité

David Bailly, Vanité aux portraits

Tu as dégrafé le col du lourd manteau Dior, que John m'avait offert à l'issue de la party d'après-défilé, il y a deux mois. Dans un souffle froissé, la faille de soie sombre rebrodée par Lepage s'effondra en vagues successives autour de mes mules Louboutin (Où étaient-ce mes Manolo, je ne me souviens plus, tant j'étais fascinée par la lourde chevalière aux armes de ta famille qui armurait ton auriculaire.) J'ai frissonné, la cheminée et son feu attisé était trop loin dans ce salon si grand, aux proportions de ton hôtel particulier de la villa Montmorency. Je n'avais pour toute parure que le tanga rouge de Sabbia Rosa, que tu m'avais offert à Florence, pour le Nouvel an, selon cette coutume italienne qui veut qu'une culotte rouge apporte du bonheur pour toute l'année. Le bonheur, et le rouge, c'était pourtant ta cravache Hermès qui allaient me le prodiguer...

J'imagine qu'en lisant les lignes qui précèdent, vous vous demandez si j'ai passé le ouiquende devant Fashion-TV en perfusions, ou alors si j'ai trop léché d'envie les pages glacées de Harper's Bazaar, une ivresse mythomane m'en montant à la tête. D'ailleurs, j'ai abrégé, ne parlant pas des huiles rares, argan et onagre, dont ma masseuse m'avait ointe pour rendre ma peau la plus douce possible en prévision de cette soirée, ni même de ma coiffure made in Tony and Guy London, ou encore, de ce sac Lacroix vintage que j'avais disputé à Sharon la semaine passée, sur Rodeo Drive. Et encore moins de notre escapade éclair à Kyoto pour ce petit boui-boui où les sushis sont incomparables.

En vérité, je me contente de parodier quelques récits authentiques (non point que je crois un traître mot de ce qui se trouve dans ces témoignages prétendument vécus mais ils existent bel et bien, quelque part sur la toile, et ne sont pas nés de mon cerveau fashion et malade).

D'ailleurs, en voici des extraits. C'est un homme qui signe.

O ferme les yeux, s’installe plus confortablement sur le cuir marron du canapé. Elle a retiré ses hautes bottes cavalières en cuir marron, cadeau d’Guillaume chez Hermès lors de son dernier week-end avec lui à Paris, et porte la tenue exacte qu’il a exigée ce matin et qu’elle a sagement enfilé devant lui, docile et silencieuse : une jupe de tweed beige chinée MAX MARA, légèrement trapèze et s’arrêtant juste au dessus du genoux, un pull à col roulé en cachemire blanc, qui moule parfaitement sa poitrine et sous lequel elle est nue, des bas de soie crème retenus par un porte-jarretelles blanc, LA PERLA, ainsi qu’une toute petite culotte blanche en dentelles, assortie.

On dit qu'un bon maître laisse des marques. C'est le cas. Elles sont même majuscules, c'est dire si c'est capital. On remarquera le souci du détail, la "jupe de tweed beige chiné". Hélas, on ne sait pas si le cashmere est trois ou quatre fils. Le lecteur reste sur sa faim. En même temps, c'est bien de garder du mystère.

Rue Bricabrac, bdsm, saga des marques

Allez, ça continue.

Elle sourit en regardant son poignet gauche et le cadeau de Guillaume: un bracelet d’esclave Hermès, en cuir marron incrusté de larges plaques d’or, dont l’une comporte un large anneau. Elle l’a reçu quelques jours auparavant, et se souvient avec une excitation naissante du moment ou Guillaume le lui a passé, dans la boutique, devant une jeune vendeuse blonde et hautaine, qui n’a rien perdu du ton sec du Maître pour sa soumise lorsqu’il lui a ordonné de tendre son poignet.

Le Maître est généreux (toutes ces dépenses sont peanuts pour lui) et connaît les bonnes maisons. En tous cas de nom. Et il est indéniablement, à ses propres yeux, un homme de goût. Et d'argent. Rien n'est trop beau pour lui, il lui faut le meilleur.

Le visage contre le sol, O ne voit rien de ce qui se passe derrière elle, elle reconnaît pourtant le bruit de la machine à expresso professionnelle que son Maître, grand amateur de café, à rapporté d’Italie au début de l’hiver.

Ce n'est pas possible, c'est un pastiche, à ce stade de précision, on est dans le fantasme. Et sa cuisinière 8 feux, il en parle quand ?
George Clooney, sort de ce corps et remballe ta Nespresso !
Toujours du même gazier, une autre histoire, d'un semblable tonneau. Cette fois-ci l'homme est à son bureau, en loupe d'orme évidemment.

Sur le grand lit est étalée une robe de soirée en soie noire, qu’elle reconnaît pour être un modèle Armani, et deux paquets, l’un est une boîte à chaussures de couleur noire, sur laquelle le sigle PRADA est inscrit en bleu, et l’autre un petit sac de papier blanc luxueux, DIOR.

Pourquoi Armani n'a pas droit aux majuscules ? C'est vrai que les robes Armani, hein, franchement quand on voit ce que fait Dolce et Gabbana ou alors, un Versace grande époque, avant que Donatella ne reprenne les rênes de la maison. Mais bon, je serais de chez Giorgio, j'enverrais mes avocats.
Allez, un petit coup d'autoportrait pour la route.

Elle jette alors un regard rapide sur sa tenue, le costume gris sombre, cintré, la chemise bleu pâle, la cravate en soie rouge sombre, les boutons de manchettes en argent qui dépassent de la veste, les chaussures en veau velours noir, probablement sur-mesure. Elle apprécie en femme de goût l’élégance des matières, l’impression de luxe qui se dégage de sa tenue. Une élégance qui n’est pas excessive, ne subit aucun diktat de la mode, mais au contraire celle d’un homme qui ne cherche rien à prouver, ni à afficher, celle d’un homme vraiment sûr de lui, frisonne-t-elle agréablement en se dirigeant vers le lit.

(On appréciera à sa juste valeur l'"homme qui ne cherche rien à prouver, ni à afficher...")
Les enfants ont des amis imaginaires, il n'y a donc pas de raison que les adultes ne se projettent pas dans des rôles magnifiques...
Ce qui affleure, dans ces descriptions, c'est qu'on reste dans le papier glacé, dans le name dropping, dans les signes extérieurs d'appartenance à une classe aisée, très aisée, dans les fantasmes de fauché donc (sur des forums, je ne sais où, j'avais lu un début de discussion sur "un maître peut-il être chômeur" et/ou "un dominant doit-il être blindé" La réponse, en résumé et entre les lignes, était "oui". Le monsieur qui se gargarise des marques doit être de cet avis, et s'évade au pays magique de Chanel et de Choo). Jamais cet homme, dans ses récits, ne parle du corps et de ses humeurs. Son kif, ce sont les signes extérieurs de richesses. Quand on lui parle d'ISF, il a un début d'érection. Sa soumise est une chimère, elle aussi livrée en boîte, enveloppée de papier de soie crissant, avec la marque dessus, non, pas celle du fouet, du fer ou feu. Le bdsm aseptisé est né, dans des habits du dimanche.

Rue Bricabrac, bdsm, Red Charls, marques
photo Red Charls

Ta ceinture n'est pas de chez Gucci, et pourtant, je porte avec une joie endolorie ses marques. Et quand elles auront disparu, tu m'en feras des nouvelles, sans bolduc autour, avec juste la pointe de la langue qui en suit le dessin quand la brûlure devient intolérable.

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