Je n'ai jamais eu de maison et j'ai cette nostalgie. Ce n'est pas proprement
a room on my own qui me préoccupe, ça je l'ai, je suis assez
ourse pour avoir toujours su la créer, mais a house
on our own.
Une maison de jeu, ni casino ni bordel, même si le hasard et la luxure
en seraient les mânes. Une maison qui n'existe pas, une maison de carabosse,
sortie d'un conte de fée, poussée dans un arbre, perchée
sur une falaise, sans maman Bates empaillée au sous-sol tout de même,
avec des poutres et de la paille, avec un sauna et un moulin à eau,
ou à vent, avec des caves bien sèches, sans voisins mais avec
verdure, avec un manège sans chevaux, avec un lit à baladaquin,
couette de pur duvet et mille oreillers, avec du cachet et sans folklore.
Il ne s'agit pas d'aménager une cave comme les pas tristes pensent
que Sade le faisait, ni de tranformer le grenier en donjon.
C'est juste qu'en la visitant, en y habitant en rêve, je puisse me dire,
en passant dans le minuscule bureau, que je pourrais y être attachée
serrée à la chaise, condamnée à écrire mes
futurs sévices, Shéhérazade à l'envers qui vend
sa peau avant de la faire tanner, sachant qu'il n'est pas question de baguenauder
quelques clichés éculés ou de me contenter d'un minimum
syndical sm, tu me lies, te me fouettes, tu me sautes, je suis rouge, je mouille,
je jouis. Il faut que je trouve autre chose que les folies de la veille, des
situations qui te feront bander illico et t'étonneront longtemps. Alors
j'imagine des supplices lointains, lents, lourds.
Détachée de ma chaise d'écrivante, je ne serais que mieux
attachée au grenier, riche de poutres qui permettent toutes les suspensions,
pas avares d'anneaux qui m'écartèleraient pour m'offrir en presque
apesanteur, de la plante des pieds (frappe-moi) à la racine des cheveux
(tire-les). Je pourrais m'imaginer sur la roue qui baigne dans l'eau, un peu
plus bas.
L'eau à proximité, c'est important aussi. D'une main ferme sur
ma nuque ou autour de mon bras, avec une colère feinte, retenue ou irréelle,
tu m'y jetterais, pour calmer mes brûlures, pour faire taire mes insultes,
pour refroidir ces globes que je frotte contre ta queue mal à propos.
Et pour ne plus m'entendre te dire que je te fais durcir, et que j'aime ça.
Ou alors, pour ton simple plaisir de me sécher avec quelque chat aux
trop nombreuses queues, et remplacer chaque goutelette loupe par des points
pourpres persistants.
Il y aura un parc, assez vaste pour nous éloigner du monde, assez cosy
pour ne pas s'y perdre, assez feuillu pour crier contre l'écorce des
arbres, pour que l'odeur de cuir se mélange à celle de mousse,
pour que tu puisses me chasser et que j'aie loisir de me cacher, mais jamais
de m'enfuir définitivement, pour que tu me trouves la nuit tombée,
tant mes frissons trouent le silence. Un végétation riche et
variée, où j'irais, penaude et ravie, cueillir les instruments
du châtiment, coudre ou bambou, saule ou roseau, et gare s'ils sont trop
doux. J'éplucherais soigneusement, de mon Laguiole à crosse de
nacre rouge, les verges pour me faire battre, que je t'offrirais les yeux baissés
pour ne pas que tu voies ma jubilation honteuse. Je les laisserais dormir dans
un seau d'eau vinaigrée pour leur donner ce cinglant effrayant.
Dans la grange, il y a un tonneau dont j'épouse facilement la courbure,
des stalles où l'on réinventerait la balle au prisonnier, mais
avec une engêolée et une chambrière. S'échapper
sans le pouvoir, jusqu'à l'épuisement, la reddition, les derniers
coups sans grâce, les plus douloureux, les plus libérateurs, et
l'amour dans la paille, qui pique et irrite mon corps nu et à vif. Je
ne m'en accroche que plus à toi, vissée à ton sexe, à ton
col, à tes hanches.
Le lit à baldaquin conjugue la menace et le bien-être. Quatre
totems pour prendre toutes les couleurs et des draps de lin blanc pour s'étirer,
se lover, faire les rêves qui nourriront le récit du lendemain.
A moins qu'à cru sur l'accoudoir d'un Chesterfield de la bibliothèque,
je ne te lise, sous tes attentions diverses, quelques passages de textes libertins.