Je m'appelle Bricabrac. On m'a appelée Bricabrac. Ca ressemble à rien, sauf à l'envie de mes parents. A l'école, on m'appelait Brique, ou Braque, ou Bricounette, on faisait des blagues sur mon nom. Pendant ce temps, j'admirais les prénoms élégants, sophistiqués ou rares de mes voisines. Mais Bricabrac j'étais née, et Bricabrac, je resterais.
Alors, quand j'ai fait le réseau, la première fois, j'ai choisi un pseudo, parce que Bricabrac, tout de même, ce n'était pas digne, ça ne ressemblait pas à l'image que j'avais envie d'envoyer. Des deux Marguerite, j'ai choisi Duras et la femme du consul. Lola-Val, c'était alors mon nom de guerre en dentelles, mon nom de plume au cul. Effacée Bricabrac, envolés les jeux de mots idiots, deux qui la braquent, trois qui la briquent. J'étais toute neuve.
Quand j'ai rencontré Stephen DAF de Maldoror (je ne pense pas qu'il ait jamais lu les Chants, mais quelque chose lui disait que le comte Isidore était un chef goth, et qu'un peu de noirceur sur le rouge du marquis, ça le faisait grave), en plus de m'enserrer le cou d'un collier de chienne, a affirmé sa propriété en me donnant un nom rien qu'à lui. J'avais la lune rouge et la tête en l'air, il m'a derechef baptisée Louna, sa Lou rien qu'à lui, na ! De toutes façons, Lola-Val était morte, j'étais désormais interdite de réseau, il m'avait même confisqué la pastille amplificatrice qui me permettait de faire entendre ma voix dans la mêlée de celles des autres. Quant à Bricabrac, c'était celle de la vie sociale, de la routine, celle pour tous les autres qui ne savaient rien des marques sur mon dos et mes cuisses, de mon sexe rasé, ni de tout ce que mon cul était capable d'avaler.
[Logiquement, à cet endroit du récit, devrait figurer un couplet sur la fierté de sa part d'ombre, sur cette élévation par le bdsm au dessus du vulgus, mais je n'ai pas l'envie de pousser le bouchon dans les orties et mémée encore plus loin.]

Rue Bricabrac, bdsm, hétéronymie

Ayant un jour d'exhibition raté ma troisième étoile d'impétrante dans l'ordre d'O et de Justine réunies, j'ai balancé d'un même sanglot Stephen et Louna, j'ai racheté une pastille et j'ai choisi un pseudo de chipie, parce que telle était désormais mon humeur, j'avais juste le désir d'être renversée sur des cuisses vigoureuses et copieusement fessée, pas d'assimiler la soumission de A à Z en cours accélérés. Zazie était née. Plus vierge que moi, tu calanchais dans la seconde. Dans la foulée, saisie par la fièvre de l'hétéronomie, je m'étais confectionnée une identité bis, Roxane, parce qu'au top 5 de mes zones érogènes, il y a l'oreille, non, pas le lobe, le cornet. Je passais de l'une à l'autre, au gré des serveurs, piégeant ceux qui me prenaient pour une proie. C'était un peu fatiguant, il ne fallait pas se mélanger dans les allonymes. Je ne sais plus si j'ai rencontré Sire Cire sous Zazie ou Roxane, de toutes façons, nouvel homme, nouveau nom, j'étais devenue nightbitch (avec une minuscule, selon un code qui voudrait que les soumises n'aient pas droit aux capitales). J'avais un collier de molosse en guise de serre-taille. J'avais ma position obligatoire et des nouveaux plaisirs, des jouissances plus épicées. Jusqu'à ce qu'il me répudie. Adieu Zazie, Roxane, nightbitch, je ne sais plus qui j'étais, un sac en papier vide, mon identité diluée, partie, perdue. Sans surnom, pas de femme. J'avais pris l'habitude de me voir dans ses yeux, mon corps était dessiné par sa douleur et sa jouissance, et je m'agenouillais quand il prononçait mon, enfin, son, nom. Sans blase, plus de blason. Sans sobriquet, plus de substance.

Je pourrai continuer longtemps à dérouler le ruban des prétendues peaux successives. J'arrête. Ce n'est pas mon histoire. J'ai triché, maquillé, pastiché. J'ai versé des rasades de faux dans des gouttes de réalité. Pour essayer de comprendre pourquoi tant de femmes soumises jonglent avec les cryptonymes, se revirginisent l'identité au gré des compagnons de route, jouent les papillons en mue façon serpent, baille baille ma pelure d'hier, me revoilà avec un label couleur de lune, couleur de temps, un nom qui dit oui.

Je m'appelle Bricabrac. Tu ne m'appelles pas. Point besoin. Je suis là.

PS : il ne s'agit pas d'onomastique au sens exact du terme, mais je n'allais pas me priver d'une nouvelle histoire d'O... Mon royaume pour un bon mot !

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