Un violon sur le toi (Nam June Paik)
En apprenant la mort de Nam June Paik, l'un des grands artistes à avoir fait de la vidéo un art, je suis allée sur son site comme on part en pèlerinage, non point pour hommager un mort, mais pour aller marcher sur les traces de mes souvenirs. Les images, comme les musiques, sont de formidables machines à remonter le temps. Un extrait d'une émission téléphonique des années soixante entendue hier vers 14 heures, et je revois instantanément la cuisine en biais de l'appartement rue de M., la pâte à tartiner au sésame qu'affectionnait mon père, le formica bleu ciel de la table, et sur le frigo, un transistor. En feuilletant les images de Nam June Paik, c'est à Beaubourg, avec ce jeune homme aux cheveux blancs qui cachait un micro dans sa manche, que je suis transportée.
Nam June Paik n'a rien à voir avec le bdsm, à ma connaissance, et je m'en fiche. Je n'ai pas besoin de "role model" pour sentir mieux dans ma peau tannée. De toutes façons, je vois, dans mes bons jours, du bdsm partout, et nulle part dans les mauvais. Aujourd'hui doit être un bon jour, parce que cette image me parle.
De ma conversation silencieuse avec cet homme (Nam June Paik en vérité) de
dos, qui tient au bout d'une corde un demi-violon (ou alors je me fais berner
par la perspective), affleurent des bribes d'idées fixes, des bulles
d'obsessions. Cette
disproportion physique entre l'homme et son violon (donc la femme) que je fantasme
dans mes relations (d'où mon
goût pour un Ranxerox, capable de soulever et fesser une femme sous son
bras, ou n'importe quel géant de passage, même si au quotidien,
le géant est ingérable). L'instrument comme en laisse lâche,
le dos de l'homme, cette nonchalance fausse, la corde fait plusieurs tours
dans ses mains tout de même pour être sûr de ne pas la perdre,
l'attente dans l'attitude, s'il avance le violon tombe, à moins qu'il
ne promène son instrument comme un fou sa brosse à dents. La
perspective encore se joue de moi, il est sur des marches, face à cette
grande porte à toute petite serrure, quelle en est la clef, le
sanglot du violon, les soupirs de la maso ?
C'est cela la vraie question. Non pas tant de savoir ce qui attend derrière
la porte, mais où est la clef.
Nam June Paik a aussi fait quelques installations mémorables autour du violoncelle. Et de la violoncelliste.
mardi 31 janvier 2006 / 4 grains de sel