Une bonne fessée
Il y a des jours, des soirs, des aprèmes, où il fait bon de
revenir aux fondamentaux. Et mon fondamental, bien nommé, trop bien
nommé, c'est la fessée (sur quoi toutes mes pratiques, on va
dire bdsm par commodité, sont fondées, et qui se passent principalement
sur mon fondement). La bonne vieille fessée des familles (quoique la
mienne n'a jamais usé de ce châtiment, préférant
la parole à la volée, et jamais je n'ai regretté cette
option d'éducation ni même fantasmé sur des jeux de rôles
père/fille), la fessée classique et indémodable (la petite
robe noire du sm en somme), en travers des genoux, à la main, celle
qui fait des bruits clairs et des marques sombres, celles qui fait rire autant
que crier, celle qui rassure autant qu'elle réchauffe, celle qui agace
comme elle excite, celle qui se passe trop près du sexe pour n'en faire
point partie.
Parce que tout a commencé par l'envie d'une fessée. Et que l'envie n'est jamais partie. Ni après cent, ni après mille, ni après dix mille. Le seul mot me fait encore frémir, mouiller, espérer, échaffauder, réclamer. Quand la nuit, j'en rêve, j'ai un orgasme dans mon sommeil. Je pourrais oublier les chats à douze queues (à vrai dire, je n'en ai pas encore tâté, il est quelque part en chemin vers ma ville) et les bondages, le collier et les échass^Wescarpins, ta queue baillon qui m'oblige à l'ouvrir pour la fermer enfin ou tes doigts curieux fouillant mon sexe baillant dans des clapotis délicieusemnt obscènes, mais la fessée, je ne saurais m'en passer. Basculée la tête au sol et le sang battant dans mes tempes ou plus douilettement étalée sur le lit, ton sexe dur sous mon ventre, tes cuisses maintenant les miennes ou mes jambes affolées comme des pattes folles, mes mains en liberté de taper rageusement du poing ou mes poignets dans ta pogne, ou même sens dessus-dessous, en chandelle, dans un affollement de la géographie et des sens, c'est la fessée que je préfère. Et la ouate dans laquelle elle me plonge.
C'est peau contre peau qu'elle se donne, sans intermédiaire de bois, de latex ou de cuir, avec toutes les sensualités et quelque chose d'artistique. En bas couture ou collant roulotté dans le creux poplité, en déshabillé de soie ou à oualpé, elle est fusionnelle, et comme les cordes d'un instrument de musique, elle permet aux deux corps de vibrer à l'unisson. La main écoute, la fesse parle, le rythme et ses modulations s'imposent d'eux-mêmes, comme une pluie qui passe de crachin à orage, elle se juge à l'œil, forty shades of red, elle se jauge à l'oreille, les supplications de la suppliciée, combien d'octaves pour une plainte ?
Sous une fessée, sur ces cm3 dodus et moelleux qu'on appelle valseur,
démarre une danse qui se termine à la pointe des cheveux, au
bout des doigts. Le centre de gravité devient cercle d'allégresse,
le fondement concordat de saveurs tactiles, les globes des mappemondes de sensations
contradictoires et radieuses. L'arrière-train mène le bal, le
corps se met à son diapason. Elle ne dure jamais assez longtemps, même
si je râle et mendie le temps de reprendre mon souffle. Le stop ne veut
pas dire arrête, il signifie encore. Une goulée d'air et la batterie
peut reprendre. Je veux toujours plus de tes mains, lourdes et lentes comme
un cheval au trot qui prendrait mon siège pour un manège viennois.
De séant, j'exige d'un mouvement de reins une averse à dix doigts,
quitte à me boucher les oreilles pour fuir le tapage de grêle.
Je veux de la colère sur mon pétard, un incendie au panier, je
veux une lune qui éclaire la nuit de sa lanterne rouge.
Je veux une bonne fessée.
Les images viennent toutes de la galerie La place rouge de Red Charls. Un site ode aux rutilances callipyges. Que je lie de ce pas, parce que ça donne trop envie. Envie de fessée, bien sûr. (Ou envie de fesser, tout dépend de quel côté on se situe.)
mardi 17 janvier 2006 / 2 grains de sel