Rue Bricabrac, voile, photo, Craig Morey

© Craig Morey

Comme toutes les photos de Craig Morey, cette femme cagoulée d'arachnéenne dentelle est magnifique. Elle a du mystère, un regard droit, une pose hiératique, on peut croire qu'elle a elle-même posé ce voile, au dessin que je vois moucharabiehs bien qu'il soit fleuri, sur ses cheveux, ses lèvres, ses yeux, son cou, pour que sa nudité n'en surgisse que plus claire, que plus chair. Ou la danse terminée, les six premiers voiles déjà au sol, elle s'apprête à ôter ce dernier rempart qui livrera ce qu'elle a de plus secret, à celui qui lui fait face.

En même temps, cette envoilée calme et fière me renvoie, je ne peux faire autrement, à d'autres tchadors, à de connues cagoules, à des bandeaux, à des masques, à des cornettes, à des burqas, à des suaires...

Rue Bricabrac, voile, photo, Craig Morey

© Craig Morey

Cacher la tête des femmes se retrouve, à la louche, dans deux grandes catégories de la population, on va dire comme ça. Les extrémistes religieux (et qu'importe le grade de celui qui porte la calotte, curé ou rabbin, imam ou pope) et les dominateurs. Et ça m'interroge. Très fort. Je ne veux pas faire d'amalgame, d'assimilation hâtive. J'ai juste envie d'un slalom entre tous ces voiles, du foulard d'Audrey Hepburn aux princesses du Golfe en virée chez Sephora, des perruques des juives pieuses aux vénitiennes le temps d'un carnaval, de Belphégor à Kismet.

Pourquoi cacher le visage d'une femme ? Les talibans (et assimilés) vont parler de pudeur (et leur peur ?), de religion (bidon). C'est, on l'a compris, de négation qu'il s'agit. Les doms vont parler d'humiliation, de vulnérabilité, de privation. On s'approche. Les femmes juives orthodoxes se rasent la tête, encore une manière de mettre dieu à la sauce d'un homme qui ne cherche qu'une seule chose, rendre sa femme la moins désirable (à l'autre ? à lui ?) possible. J'ai aussi vu des soumises ainsi rasées, pour être les plus nues possible, le moins parées. Je m'interroge sur la sensualité du partenaire, fût-il phrénologue. Mais là, c'est une autre histoire, on ne cache plus le désirable, on montrer l'indésirée.

Rue Bricabrac, voile, photo, Craig Morey

© Craig Morey

Souvent , on voit les yeux, cela vaut mieux, pour que la femme cachée puisse tout de même voir où elle va. Les yeux miroir de l'âme, la vieille antienne ; les yeux bordés de khôl ou de kajal des beautés en tchador et en sari qui savent d'un battement de cil sur leurs amandes sombres envoûter les hommes. Il y a clairement quelque chose qui se passe par rapport à la tête (qu'on appelle aussi le chef). Les mariées lèvent le voile une fois qu'elles appartiennent au mari. et les communiantes. Les élégantes, naguère, ne sortaient jamais sans chapeau, agrémenté parfois d'une voilette. On cache les cheveux comme métaphore du corps.

Tant que tu ne vois pas ma tête, tu ne me vois pas, tu n'as pas à me regarder. Tant que je suis derrière un masque, je peux voir sans être vue.
Alors, qui décide du voile ?

(À suivre...)

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