Le collant déchiré
Il n'aimait pas (doux euphémisme) les collants. Comme souvent les dominateurs
qui aiment toujours porter haut le flambeau du porte-jarretelles et autres
fétiches féminissimes désuets.
Pourtant, ce jour-là, il m'avait demandée de l'attendre exclusivement
vêtue d'un collant, me prévenant que le vêtement allait être
sacrifié (son côté économe, très panier de
la ménagère) sur l'autel bdsm, se proposant même de me
fournir la chose habituellement innommable, achetée sur ses deniers.
Je me suis exécutée, glissée dans le nylon fumé jusqu'à la taille, j'ai pris sa position favorite, courbée sur la table, les seins écrasés sur le bois, les jambes écartées pieds à pieds, les yeux bandés par mes propres soins, et je l'ai attendu, avec cet habituel frémissement délicieux de peur, ne sachant pas quel tour il me réservait, et pressée du premier contact, seul capable de briser cette électricité.
Le toucher a été polaire, métallique, tranchant. Muni de ciseaux, il a entrepris, effleurant ma peau sans jamais lui infliger la moindre égratignure, de découper le collant. Aux endroits stratégiques, laissant couvert mon creux poplité et mon astragale. Une fesse, ma fente, l'autre fesse. Parfois, d'une main impérieuse et impatiente, il agrandissait la découpe, le tissu crissait, je frémissais. Et de nouveau, le froid de l'acier, dont je découvrais pour la première fois, les vertus excitantes. Jusqu'au bruit sec des lames qui se referment, ce son particulier qui ne ressemble à aucun autre, que l'on pouvait entendre dans les ateliers de couturière, un son clair et grave que je n'oublierai jamais.
Je n'ai joué avec personne d'autre au collant découpé.
Je ne le regrette pas, je ne cherche pas à reproduire avec des hommes
interchangeables des situations passées, fussent-elles plaisantes. Je
préfère inventer des nouveaux rites, leur laisser la mise en
scène des petits cailloux blanc que je sème, créer ensemble
des nouveaux jeux, on ne dira jamais assez le goût des premières
fois, même si, plus petit commun dénominateur, il s'agira toujours
de panpan cucul et fariboles de cet acabit.
Mais je regrette l'attouchement inoxydable.
Je comprends, qu'en lieu de fouet ou de cravache pour disperser en confettis
la cire des bougies, certains aiment sentir une lame émoulue détacher
les larmes écarlates de leur peau.
Un couteau affilé, affûté,
chirurgical, pour une cérémonie barbare sans table de dissection.
Alors de nouveau, sur ma peau, l'acier glacé.
jeudi 3 novembre 2005 / 3 grains de sel