Tu m'as préparée comme une poupée, dessous noirs à dentelle chantilly, cils très noirs, blush soutenu pour accentuer mon teint trop pâle, kajal de princesse indienne, cou et poignets encuirés et enchaînés.
J'ai grimacé quand tu as attaché la laisse à l'anneau du collier, mais je t'avais promis obéissance. (Difficile pour la castracasseuse que je suis...)
Depuis des mois que nous y pensions, que nous en parlions, et que vous complotiez, nous étions arrivés à trouver une date qui convienne à chacun d'entre nous. Toi, lui et moi. Toi et lui pour moi. Moi pour vous deux. Pour mon rêve (on pourrait dire fantasme, mais je n'en peux plus de ce mot), ma folle envie gourmande de deux doms ensemble.

Très vite après l'arrivée de P., que j'ai juste pu saluer brièvement, tu m'as bandé les yeux. Tu m'as agenouillée sur une estrade de fortune. Je n'avais aucune frayeur, vous aviez ma confiance, juste une légère appréhension, comme devant l'inconnu, comme quand on ouvre un cadeau aussi. Est-ce que sous le papier froissé et le ruban crissant, se trouvera ce que j'attends ? Comme quand on ouvre une boîte interdite aussi.

Vos mains sur mon corps étaient bien quatre, j'essayais de garder les comptes et mes repères. Tes mains, ses mains, les siennes plus froides, les tiennes plus charnues, la texture la pulpe de vos doigts que je reconnaissais. Tu jouais avec mes seins, il reprenait contact avec mes reins. Tu as commencé à pincer, lui à claquer. Il a caressé et tu as flagellé. Vous tourniez autour de moi. Comme au bonneteau, je vous suivais mentalement. Mon corps commençait à s'évader, pris dans des sensations simultanées et paradoxales. Votre jeu à quatre mains, au lieu de doubler, le calcul semble simpliste, les plaisirs et les soupirs, les quintuplait, les décuplait, transformait une multiplication par deux en une puissance trois. Vous étiez deux, je vous croyais quatre. Je vous offrais mon corps avec d'autant plus d'impudeur.

Rue Bricabrac, Trio, bdsm

Je me suis vite égarée, ne sachant plus, ne voulant plus savoir, qui s'insinuait en moi, qui me cinglait, si les deux mains au bas de mon dos étaient au même homme. Je reconnaissais des lèvres, l'odeur d'une peau, des doigts dans ma bouche, mais comme en même temps, j'avais mille autres sollicitations, j'ai perdu pied. Les sens aussi chamboulés que le corps retourné, j'absorbais chaque attention par vous prodiguée.

Je sentais, j'en étais heureuse, votre complicité. Et votre désir aussi, il avait pris une belle forme contondante. Vous aviez, sous la dureté et la ludicité, du respect, du tact. Vous aviez l'air de vous amuser, je me sentais jouet comme jamais. L'un me tenait les épaules pour me projeter les seins en avant, sous la cravache de l'autre. L'autre s'installait à califourchon sur mon dos pour mieux m'immobiliser. A deux, vous vous entendiez pour m'écarter, me forcer, me faire sortir de moi. Je n'ai eu aucun répit. Vous n'étiez pas trop de deux, en plus des liens, pour me maintenir tant parfois, les coups me meurtrissaient. D'ailleurs, quelques heures plus tard, quand tu m'as autorisée à retirer le bandeau, j'ai vu qu'il était mouillé.

Il n'était pas le seul. L'excitation était au diapason du traitement. D'être ainsi fouettée et fourrée en même temps, gamahuchée et socratisée, enconnée et engodée, suçante et sucée, de devenir ce corps accordé sur la clé "de bas de dos", un instrument percussif et percuté dont la musique variait selon la position, et ça aussi, vous en avez abusé, dodécaphonistes sur piano peau.

C'est presque irracontable. Vous avez inventé des jeux et j'ai ri entre les cris. Vous m'avez amenée du bout des doigts ou à pleine queue à la jouissance, et j'ai gémis comme on dit merci. Parfois, quand on rêve trop, la réalité est décevante. Là, c'était mieux. Différent aussi. Parce qu'en place de ma seule imagination, il y avait les deux vôtres.

Enveloppée dans une couverture, alors que je redescendais lentement sur terre pendant que vous parliez ensemble, très salon, je me suis sentie comme une enfant à qui on venait de faire faire l'avion, ce jeu qui donne bonheur et peur à la fois, ce bonheur et cette peur que je recherche et retrouve dans mon masochisme, avec la certitude que tu ne me lâcheras pas, que vous ne me lâcheriez pas.

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