Manège à trois

Imbecile 12

L'autre soir, nous avons longuement parlé de libertinage, de Casanova, de Diderot, le dernier numéro de L'imbécile au pied du lit, pas encore même sorti de sa pellicule plastique. Hier soir, on a remis ça, L'imbécile avait été sorti de sa capote, pas encore lu, mais parcouru. (On a chacun le nôtre, d'exemplaire, et en plus, je fais du prosélytisme, c'est après la découverte de Courrier International il y a des années, la revue le plus coup de foudre sur quoi je sois tombée.) "Psychologie du libertin", c'est le thème du numéro 12. On en parle. Comme tu es réfléchi, tu me parles d'idées, et du libertinage au sens dixseptièm/dixhuitiémiste. Celui des Lumières. Comme je suis futile, je parlais de celui d'aujourd'hui, qui n'a gardé de son ancêtre qu'une liberté sexuelle. De toutes façons, le XXIe siècle n'est pas très spirituel.


Tout ça pour dire que je rêverai d'être libertine (pas comme la vilaine fermière, pitié), d'avoir cette faculté de détachement, ou de non attachement, ce goût de la collection et ce désir en mouvement perpétuel. Quand liberté rime avec légèreté. Je me souviens d'un film de Spike Lee, quand il avait du talent. Pas tout à fait une grande finesse, mais de l'allant, du chien. Nola Darling n'en fait qu'à sa tête. Nola avait trois amants. Un petit coursier démerde, drôle, un zigoto bavard et ludion. Un cadre sup sanglé dans un costard bien coupé, avec la thune qui tombe régulièrement, les idées aussi bodygraphes que son complet, rassurant et amidonné. Un beau gosse aux plaquettes de chocolat à la parade, grand baiseur devant l'éternel, le 7ème ciel à chaque coup de rein, je ne me souviens pas de son QI, sans doute n'en avait-il pas. J'ai bien que que le Spike, sur le coup, n'avait pas été très fin. Et Nola, qui rêvait sûrement de Mr Right (aux Etats-Unis, pays qui n'a pas connu la royauté, le prince charmant est de la roture), ne savait pas trop lequel des trois choisir. Le rigolo ? Le macho ? Le boulot ? Tout bien considéré, à eux trois, ils en faisaient un.

3mains

Trois hommes, c'est peut-être ça la solution à la quête de complétude. L'homme idéal en pièces (sur pieds, les pièces) détachées. Pas les trois ensemble, mais avec un peu d'organisation, à Monsieur A les lundi et jeudi, Monsieur B les mardi et vendredi, Monsieur C les mercredi et samedi (si Monsieur C est marié, on le met au courant des deux autres, et on lui affecte le seul mercredi, enfin, chacun se débrouille avec son planning, hein...), et le dimanche, on a piscine, copines. Dans un monde idéal, ça éviterait chagrins d'amour (si l'un des trois tire sa révérence, reste les deux autres pour se consoler en attendant de réembaucher), surtout, ça permettrait peut-être (je nage en pleine théorie, comme le prouvent mes exemples pathétiques) de diluer le don, l'investissement affectif. Parce que si c'est pour multiplier les souffrances, les blessures d'égo par trois, ce n'est même pas la peine. Ce qui est une manière d'envisager les relations humaines comme les investissement boursiers, ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Un truc de boutiquière, d'apothicaire. Beurque, non ? Sade était un grand comptable. Don Juju aussi.


Ma in Ispagna son già mille e tre!
Mille e tre !

C'est compliqué. Même juste tre. Surtout quand on est masochiste. Il y a les marques. Les marques, c'est le contraire du masque. Le libertin aime les masques. Il en a besoin. La masochiste aime les marques (sauf quand il y a séance d'acupuncture et de shiatsu chaque semaine). Elles sont ses décorations.

Je crains de n'être pas libertine, ça me déchire. Si je l'étais, je crois que j'ai trouvé mon masque. Ce serait un zentaï, plusieurs zentaïs, pourquoi pas novantuna ? Ou alors, mais c'est moins hype, troquer EDF pour la bougie (c'est politique) et ne choisir que des amants hypermétropes, si on les aime jeunots, ou presbytes, fatal chez les quadras (c'est optique).