Double sensualité

Il y a des mots qui se prêtent à des ambiguïtés particulières, des mots qui deviennent comme des clitoris sémantiques, des mots qui se surchargent de sens comme des femmes trop parfumées. On a sans doute chacun les nôtres qui composent un dico en douce.

Le mien, c'est déguster. Dé-gus-ter. Le son vaut le sens. Les papilles de l'oreille en frétillent, le palais dresse haut son pavillon. A l'abordage. Déguster. Le verbe appartient à l'alimentaire. Vins, chocolats, poissons crus ou fumés... Il y a du delicatessen dans dégustation, ce mot qui est passé de mets choisis dans sa patrie d'origine à sandwich au pastrami dans son pays d'adoption.

Déguster, c'est le contraire de morfaler, ça parle de petites bouchées, de saveur, de succulence, de temps qu'on prend. Ensuite, la dégustation durera ce que l'estomac tiendra. On peut donc déguster beaucoup et longtemps. Déguster, quel bonheur, veut dire aussi bien dérouiller que jouir. Je déguste au carré, à en finir roulée en boule, pour fuir la dérouille ou pour me recroqueviller sur ma jouissance ? Et toi, tu me dégustes aussi tandis que je sors de ma gangue.

Déguster, pour moi qui aime les poissons, le chocolat et le vin (s'il est blanc et liquoreux), c'est le mot qui s'accorde le mieux à une magistrale correction. J'aime la cravache, les martinets lourds, le bambou, les paddles, les mains comme des battoirs, les battoirs de lavoir, et chacun à sa manière, je les déguste, je les savoure, je m'en délecte, j'en veux beaucoup de chaque, j'en veux encore et encore, même si mon corps n'en peut plus. Je me prépare à une tournée comme à une soirée. Un bain, du parfum, du khôl pour en teinter mes larmes et des vêtements qui ne laissent pas de trace. Une peau comme un papyrus pas encore touché. Les seules marques que je veux voir sont celles de mon combat avec les coups.

Déguster. Le mot me roule en bouche comme d'autres feraient d'un bourgogne capiteux. Il me monte à la tête, elle me tourne, je suis ivre de ces trois syllabes. Un D, un T et du goût. Tu me domines, tu me tortures, je prends des coups. Quel régal.