Androgynie

La photo d'hier, de ce chaperon mâle et danseuse à la fois me renvoie à un vieux vieux vieux fantasme...

Parmi les multiples déclinaisons numérisées de Laetitia Casta par Jean-Paul Goude pour les Galeries "il se passe toujours quelque chose aux" Lafayette, il en est une qui la présente le cheveu un peu plus court qu’un para avec un rien de brosse blonde au dessus de ses lèvres pleines. Bref, la Casta en garçon. L’idée est là. Pas le personnage. Il ne suffit pas de coller une mitre au premier venu pour en faire un pape (quoique). Casta n’a rien, rien de rien, et sans regrets, d’un androgyne. Il ne se dégage aucun trouble de ces images. Au contraire de la dernière héroïne de Floc'h ou des garçons fleurs japonais.

photo Jean-Paul Goude


©Dargaud

Je ne parle pas que d’un physique minimum, seins discrets, hanches étroites, jarret nerveux, mais surtout d’un état d’âme. Il n’y a pas cette belle ambiguïté chez cette plante rustique, au sourire du bonheur et au corps porte-manteaux. Je ne suis pas sûre qu'une Kate Moss au gabarit plus anorexique se prête mieux à l’incarnation d’un, enfin, de mon fantasme androgyne. Il y avait infiniment plus de trouble à voir une Virginie Thévenet, alors cinéaste débutante, poser au milieu de toute la noria d’acteurs/peoples recrutés pour son Jeux d'artifices, en costume de garçon.

Virginie Thévenet a su là me prendre par l’imaginaire, entre ses enfants terribles que je n’ai pas de mal à imaginer incestueux et son incarnation monsieur/dame ! Virginie Thévenet est une longue fille brune qui peut porter veston ou smoking sans faire bailler l’entre-sein comme une porte à double battant qui bée. Victor/Victoria, tout est là. Quand Katharine Hepburn se dessine une ombre de moustache pour devenir Sylvester dans Sylvia Scarlett de George Cukor, quelque chose passe. Et se passe.


Julie Andrews dans Victor/Victoria (MGM)

J’aurais aimé, depuis toujours, me travestir en garçon. Un peu pour savoir quel effet ça fait de vivre la vie en homme, quels regards on reçoit, comment les femmes regardent les hommes, comment les hommes regardent les hommes, comment on voit la vie en homme, même faux. Ni pour le fun, ni pour la socio. Pour draguer les garçons. Les hommes. Ces hommes tape à l'oeil, caricatures de virilité exacerbée, ces concentrés de testostérone qu'étaient ceux qu'on nommait alors les pédés-cuir (le mot gay alors prenait un "i" et s'accordait à Paree). L’aurais-je fait si mon physique l’avait permis ?


Photo Thomas Nutzl pour Time

Je l’ai en tous cas beaucoup imaginé, décliné sous toutes ses formes. Il en est de mes fantasmes comme des doudous des bébés. Je les use jusqu’à en faire de la charpie, jusqu’à ce qu’ils soient si ressassés qu’ils ne me donnent plus de plaisir. Je suis assez insensible à la répétition comme facteur de fatigue. De la même manière qu'un plat, un parfum, une crique bretonne, un homme, mes fantasmes me font de l’usage. Quitte à les rapiécer ici et là, comprendre introduire des variantes, des suites, à l’image des films à la Vendredi 13 ou avec Harry Potter. Il n’y avait guère que le décor qui changeait, pas la trame, tissée d'un lin costaud.


Katharine Hepburn sur le plateau de Sylvia Scarlett ©RKO

J’ai peu d’imagination, je compense ainsi. J’aurais tant aimé, à 20 ans, et même avant, me mouler dans un jean, me fabriquer un paquet avantageux à l’aide de chaussettes, attacher mes cheveux en catogan, serrer les dents pour avoir de la mâchoire et la nuit aidant, faire oublier mon mètre cinquante cinq & bonnets D, et draguer, en cuir et à moto, du côté des boîtes gays (on ne disait pas ainsi alors, délicieuse époque répressive et incorrecte, excitante et réellement transgressive, aux antipodes de ce XXIe siècle glacé et dépressif), me lever le premier macho caricatural de service, qui n’aurait pas manqué (l’avantage du fantasme, c’est qu’on peut se permettre d’être un mauvais scénariste), une fois sa queue dans mon cul et l'imposture dévoilée (ô combien facilement, je n'ai pas plus de pénis que de désir d'en avoir), de passer, sa jouissance gâchée et sa mauvaise humeur sur mes fesses qui n’attendaient que cela. Ainsi, la sodomie qui a priori ne devrait me procurer qu’un plaisir par procuration, me fait vibrer quand j’imagine, et mon complice en chœur, que je suis prise comme un garçon. Jusqu'à rendre érotique l'expression mordre l'oreiller, comme je mordrais la poussière.

Si un homme sommeille en moi, d'ailleurs, il se réveille assez souvent, c’est sûrement un pédé. Il y a même de fortes chances pour que ce soit une folle. Je ne dois pas être la seule "pédée". Gainsbourg avait écrit pour Régine, la Régine de Zoa, avant le botox et La Ferme Célébrités (célébrités, tu parles) "les femmes ça fait pédé, c’est très efféminé". Suis-je suffisamment efféminée pour faire un bon garçon ? On y reviendra peut-être. Fatalement.

En tous cas, j’ai la plus grande envie pour ces femmes capables de cette ambiguïté. Je parle bien de double-sens, de masque, pas de crossgender ou de queerisme. Je pense à celles qui peuvent, ou pourraient si elles le voulaient, en un tournemain, pour le jeu, pas pour se faire greffer un coup de poulet. changer de sexe comme un caméléon. Et donner le change. Les garçonnes, pas les drag-kings. Ces femmes comme des anges. Elles ont deux sexes.