Frida
Sur la colonne Morris la plus proche de chez moi, cette affiche, qui publicite une pièce de théâtre qu'on joue au théâtre Dejazet* de Paris. Attention peinture fraîche parle de, on l'aura deviné, c'est même écrit dessus, Frida Kahlo. Ci-dessous, en intégralité, La colonne brisée, la toile originale qui s'est prêtée à cette affiche.

La peinture de Frida Khalo me laisse dans une indifférence assumée. La femme, l'amante, la révolutionnaire, m'intéresse beaucoup plus. Un rien de myopie aidant, poussée par des lectures récentes, j'ai vu dans ces seins cloutés une réminiscence du soutien-gorge aux punaises dont j'ai déjà parlé ici.
Voilà que je recommence à faire ma mijaurée, poussant des petits cris d'orfraie à l'évocation de ce soutif martyrisateur alors que je suis la première à prier "Johnny (bon, il ne s'appelle dieu merci pas Johnny, mais on ne va pas chipoter) fais moi mal". Il faut croire qu'il en est du masochisme comme des bibliothèques, amoncellement de rayons et de sous-catégories, de compartiments et de subdivisions, il faudrait un nomenclateur (qu'on nommerait évidemment masographe ou masologue) pour dresser la liste des idiosynchrasies en la matière. On aurait des statistiques très fines sur le côté du marteau préféré pour le plantage des clous, par exemple. Plus tard, dans quelque thèse sexopathique, une ontologie de la soumission serait à prévoir.

Pour finir cette parenthèse qui n'a même pas le bon goût d'user de la signalisation idoine et qui est un vrai hors sujet buissonnier, je me suis aperçue, en réfléchissant à ce que me racontaient ces tableaux, le collier de ronces et la biche en Saint Sébastien, que j'avais mes fétiches et mes bromures. Au rayon éteignoir, les punaises, les agrafeuses, les règles, bref, toute la panoplie du bon élève ou de l'employé de bureau. Au rayon sexy, parce qu'il est évident que le détournement d'objets usuels est jubilatoire (sinon, pourquoi aurions-nous tant d'allégresse à chercher nos jouets chez Leroy-Merlin plutôt que chez Démonia ?), tout ce qui touche à la cuisine : planchettes à découper qui font d'excellents paddles, cuillers en bois, raclettes (paddles à tétons), baguettes japonaises.

Ces distinctions sont peut-être liées au fait que je passe plus de temps devant mon ordi qu'au dessus des fourneaux. Peut-être pour des raisons plus scellées. On s'en fout un peu, là n'est pas le propos.

En voyant donc cette affiche sur la colonne Morris en haut de la rue, j'ai pensé au frisson qui saisirait immanquablement maso, sado et autres fidèles affidés de la bande à sm. Femme carcanée, femme percée, femme fléchée, femme épinée, Frida Kahlo semble faire diverses propositions de douleurs.

Oui mais non.

Frida, blessée de la plus réelle et symbolique manière à dix-huit ans, empalée par une barre de fer dans un accident de bus, parle de la douleur subie à son corps défendant.

Je fais partie de celles qui la subissent à leur corps consentant. Et réclamant. J'espère être un jour chassée en forêt et offerte aux tourments du vainqueur. J'aime porter un collier plus contraignant qu'une minerve pour te regarder la tête haute. J'attends avec impatience le carcan qui me mettra à ta merci.

Jamais je ne pourrai m'exciter à l'évocation d'une femme fouettée par les talibans, à un remake domestique de Portier de nuit, à l'emprisonnement de mes jambes dans un cercueil de plâtre... Déjà que je suis une fausse soumise, serais-je maso à mi-temps ?

* À noter que c'est dans ce même lieu que le 24 mai se tiendra un réjouissant procès où sera sévèrement fustigé l'une des figures les plus désagréables et menaçantes de notre paysage politique qui soigne sa droite.