In the box 3 (Poupées désarticulées)

On les laisse jouer à la poupée, poupée de cire, poupée de son, poupée de chair, poupée pas de bois. Souvent, ils s'en lassent, elle n'est plus toute neuve, ils ont perdu la moitié de ses vêtements, ses cheveux n'ont pas été coiffés. C'est qu'une poupée, ça demande des soins constants, de l'attention, de la préoccupation.


Photo Annliz

Et patatras, ça se termine en miettes.
On leur prête un doigt, ils jettent la main. On leur tend la croupe, en un rien de temps, ils désarticulent les gambettes.
Tout ça pour finir emboîtée. Non pas l'un dans l'autre, enculée ou enconnée, mais enfournée dans quelque carton ou baisenville, d'où on ressortira dans un jour, dans un an, ou jamais.


Photo Mario A.

Dans les milieux chics qui ont été aux écoles et se la pètent, à l'énoncé des mots poupée et désarticulée, on sort sa carte Bellmer. Cambembert, comme on dit au Trivial Pursuit.

Les femmes de Bellmer m'ont toujours dérangée. Je n'ai pas envie de les voir. Je les connais pourtant, comment y aurais-je échappé ? Je me demande même si entre un coucher de soleil sur quelque plage pacifique, un Che en béret et un Freud à femme, le poster Bellmer n'a pas trôné au top ten des affiches convenues pour chambre de bonne d'étudiant frais émoulu.

Dans les milieux intellos qui ont été aux séminaires et qui l'étalent, à l'énoncé des mots poupée et désarticulée, on brandit son Lacan. Apporte-moi le stade du miroir, que je tâte mon corps morcelé.


Photo Etsuko Miura

Le bondage m'a souvent fait cet effet là. Par les liens coupants, par l'occultation de certaines parties du corps, par le jaillissement provoqué et surnaturel d'autres, par l'annulation du mouvement, par la position forcée, il me morcelle et me désarticule.

Cambrée au delà du raisonnable, écartelée comme si j'allais être rouée, dissociant mes seins ou ma vulve de mon tronc, le bien nommé tant mes membres oubliés, suis-je, un instant seulement, une des ces poupées cassées ? Est-ce à cause de mon plaisir, avant, pensant et après l'instant seulement, qu'elles me mettent si mal à l'aise, et que je ne peux m'empêcher de les regarder ? Et que j'évite de me regarder captive de tes cordes de toutes couleurs.