XXXB

Cela fait plusieurs années déjà qu'une étrange femme m'hypnotise par les annonces qu'elle dépose avec une régularité compulsive dans les "messages personnels" du quotidien Libération. Elle signe invariablement XXXB, semble habiter Paris XVe et s'exprime de manière légèrement sibylline.

Elle s'adresse à un homme, amant éternel absent, et vogue de rendez-vous manqués en appels inaboutis.
Je ne la voyais plus dans ses colonnes de prédilection, je l'imaginais desséchée d'attendre, petit tas lyophilisé au carrefour Convention, poussière retournée à la pollution.

Peut-être ai-je manqué de vigilance, peut-être hantait-elle le Herald ou le Figaro, mais heureusement pour mon roman perso, en février, elle est réapparue, telle que je l'avais quittée, à la recherche de Mister Mystère.

Et en mars, ça continue, déjà trois fois que passe ce message.

Si je devais parler de masochisme, ce serait de cela que je parlerai. Je t'aime dit-elle. Je t'aime signe-t-elle, en bissant et rebissant ses petits cris écrits. Elle est complètement maso, je me dis, moi qui pourtant prétends l'être.

Parfois, je me demande si XXXB n'est pas un épigone de Sophie Calle, en préparation d'une performance romantico-cruelle, après avoir suivi un homme jusqu'à Venise, appelé tous les habitants d'un carnet d'adresses trouvé ou joué les femmes de chambre pour mieux fouiller la vie d'inconnus.

Plus souvent, je me demande qui est XXXA, appelons ainsi l'alpha et l'omega de cette télégraphiste si désuette au milieu de tous les cyberflirts qui traversent la planète. Un homme qui se refuse, un authentique sadique qui n'a été présent que le temps d'imprimer une fois pour toute le manque, et qu'en belle et bonne masochiste, elle fait vivre en creux à travers ses bouteilles à l'encre, écrivant ainsi les pleins et les déliés de leur histoire, tissant le cordon.

XXXB ne laisse pas de m'intriguer. (Pas une seule seconde je ne pense à un gag... ce qui en dis plus sur moi que sur elle, d'ailleurs.)