Quand j'ai débarqué dans, non point le milieu mais une relation sm, avec un Maître Stéphane qui s'appelait d'ailleurs Franck, qui avait 20 ans de plus que moi, les cheveux rares mais gras, un baise-en-ville bourré jusqu'à la gueule d'instruments divers, un carnet de croquis et une expérience, hum, certaine, j'ai feuilleté le catalogue des pratiques sans passer par la case théorie. J'étais trop jeune, les modes d'emploi (ou confessions) de soumises n'étaient pas encore écrits, j'avais glané ça et là, de Sade à O, de Ségur à Gwendoline, je ne connaissais rien à l'étiquette. D'ailleurs, le mot soumise m'était inconnu, je ne revendiquais (mezzo voce, pour ne pas dire in petto) que celui de masochiste (j'avais quand même dû me fader quelques traités de psychologie sommaire en collection de poche...).

Maître Stéphane qui s'appelait Franck m'a donc permis de décliner bien plus que je n'avais imaginé et qui faisait partie de la panoplie maso. Fessées fouettées, godes, vibros, sodomie, exhibition, port de tenues imposées, fist, épilation... C'était parfois excitant, mais en même temps un peu chiant, comme à l'école. Il y avait des matières moins attrayantes que d'autres. Néanmoins, il fallait avoir une bonne note partout. Sinon, gare. Maître Stéphane qui s'appelait Franck avait de grands projets pour moi, car j'étais sur le point de passer en deuxième année de sm. L'un d'entre eux consistait à me bonder les seins jusqu'à ce qu'ils deviennent noirs, l'autre à me "louer" à des messieurs prêts à payer 500 francs (calculez vous-même, ça se passait en 1974) pour "jouer" avec moi, sous son contrôle, mais bon prince et pas maquereau, il m'avait assuré que le magot me reviendrait.

Je ne suis donc jamais passée en deuxième année, Maître Stéphane qui s'appelait Franck est retourné dans le deux-pièces cuvette qu'il partageait avec son épouse vanille tout à fait au courant de ses fredaines, et s'est remis au "réseau" (un système amusant de détournement de lignes téléphoniques non attribuées qui rappellera des souvenirs aux plus anciens) pour trouver une autre oie dans mon genre.

J'étais déniaisée mais toujours aussi avide. Ce qui me rassurait au moins sur un point, passer le fantasme à l'acte ne l'éteignait ni ne le rendait caduc.

J'ai encore lu, rencontré d'autres partenaires, la technologie a fait des pas de géant, il y a eu les forums de discussions (américains dans un premier temps), le Minitel, les tchattes.

C'est ainsi qu'il y a dix ans, j'ai appris, de la bouche même de mon bourreau (un partenaire de première classe, il faut lui rendre cela, en matière de sm et de restaurants en tous cas) que j'étais une soumise.

Dont acte.

J'ai aussi lu les interventions d'une maîtresse et maso célèbre à San Francisco pour sa maison d'éditions et les livres pas sots de son compagnon, qui se faisait acclamer, et pas qu'un peu fiérote, pour avoir reçu la veille, cent coups de canne, "full force", d'un énième dan de judo.

Dont re acte.

Je me suis aussi fait jeter au visage le sacro-saint dépassement des limites (à ne pas confondre avec la transgression, sur quoi j'aurais aussi des réserves, du moins telle qu'elle est énoncée par les camarades du Komintern). Si je ne voulais pas être exhibée, si je refusais l'étiquette de soumise, si... c'est que je n'étais pas prête, parce que inhibée, à dépasser mes limites. Je l'entends encore. (Ca fait assez bien la paire avec les conversations creuses sur les tabous.)

J'ai beau m'époumoner à expliquer que ce n'est pas une histoire de Check Point Charlie, ou de troisième martinet, ou de cravache de bronze, mais d'érotisme, d'envies, de désirs suscités par un partenaire, "on" m'assure que j'ai tout faux et que je suis une rétive refoulée.

En échangeant avec un de mes correspondant d'électrons, j'ai réalisé que pour beaucoup de gens en dehors de la choucroute ou un peu en marge du bdsm pur et dur, celui-ci ne pouvait être qu'affaire de surenchère. Un peu comme les alpinistes qui cherchent une paroi plus difficile, un chemin encore vierge, un sommet inviolé. Maintenant qu'on a fait le tour des martinets et chats divers, il serait temps de passer aux lanières cloutées. Et les pinces ayant fait long feu, à nous les aiguilles. Les cordes, c'est bon pour les fillettes, les chaînes, ça c'est du matos d'homme. Comme si ce piment de la sexualité, à l'instar des piments oiseaux ou lanterne, affadissait le goût à la longue, à la langue, obligeant à recourir à toujours plus fort, toujours plus piquant. Comme si le corps était un objet qui prenait une patine, une érosion, une insensibilité au fil des corrections et qu'il fallait impérativement passer la surmultipliée.

Pour ce qui est des clubs, je ne connais pas, n'ayant jamais mis les pieds dans ces endroits, mais ce que j'ai lu des uns et des autres me laisse penser qu'il n'y a rien de plus gratifiant que d'exhiber une soumise qui s'en prend plus que les autres, le plus de coups, les noeuds les plus serrés, le plus gros gode, la plus large main. Le concours de bites des récrés maternelles, on n'en sort décidemment pas.

Hormis le fait que la soumise/maso devient un accessoire de mode (tu l'as vu mon nouveau sac Fendi ? Mes moonboots Chanel ? Mon débardeur Galliano), il y a surtout cette désagréable sensation que le sm n'est pas un plaisir que l'on décline à deux, cherchant à combler des pulsions et à se donner des orgasmes, mais une discipline (oui) sportive (en chambre). T'es bien mignonne avec tes fessées, mais va falloir que tu commences à offrir tes seins, parce que là, on piétine. J'ai l'air de quoi moi, le samedi soir au Donjon municipal, d'un petit joueur de troisième division, et toi, ma cocotte, t'es rien qu'une poule C ! Et notre relation le remake d'un porno de série B.

A l'image des triathlètes, des heptatlètes, voire même des décathlètes, drivées par celui qu'on appellera plus maître mais coach (fouette coach !) pour être style, les soumises qui ne veulent pas démériter exhiberont anneaux aux protubérances, sexe cousu, anus dilaté fourré d'un acier lourd, motte ou nichon "brandé", des résidus d'hématomes et de cicatrices aux omoplates. Au restaurant, suantes dans leur corset en vinyl, elle mangeront sous la table dans une gamelle gravée d'un Samsuffit audacieux. Et les soirs de doutes, elles iront forumancer pour savoir si elles sont de bonnes ou de mauvaises soumises, parce qu'elles ont crié sous les coups ou parce qu'elles ont peur que si elles ne montent pas à l'échelle de la surenchère, leur bon maît' ira s'en trouver une plus docile, plus muette, plus endurante, plus ouverte.

Passées les bornes y a plus de limites étant leur leitmotiv.

Passées les bourdes, y a plus de mythe non plus...

Je ne m'attaque même pas aux codes, tout cela me passant au dessus du chignon à une vitesse supersonique, les positions de la soumise et je ne sais quels autres dogmes dans quoi je suis incapable de me reconnaître, juste de pouffer, mais simplement à ce qui ressemble de près ou de loin (de près sûrement) à une négation totale du plaisir. Et s'agissant de sexualité, même hors des sentiers battus, ou plutôt si, pile poil dans les sentiers battus, qu'on utilise cette sexualité pour reproduire les schémas tant haïs de l'école ou de l'ASSU (Association Sportive Scolaire et Universitaire) me donne de l'urticaire.

J'aimerai lire un jour quelque rabelaisienne injonction à la sauce bdsm, tout ce qui te fera jouir tu pratiqueras, les cuistres tu abandonneras.