Un fil à la patte

Longtemps, j'ai refusé dans mes scénarii fantasmatiques l'idée même que je puisse recevoir une fessée, une fouettée, une tannée, une dégelée, comme ça, sans raison.
Aujourd'hui, la simple fessée est tellement partie prenante de mes jeux sexuels qu'elle suit presque immédiatement les premiers baisers.
Et la suite est plus ou moins violente, véhémente, vigoureuse, selon l'humeur du moment et le tempérament de dominamant.

Jadis, je n'aurais pu imaginer une séance longue et suppliciante, où pendant quelques heures je passe de l'extrême douleur à la douce extase, sans que je sois réduite à une impuissance immobile. Comme s'il fallait que je reçoive ces deux jouissances malgré moi, envers et contre moi. Il fallait passer par la case victime, pour éviter la culpabilité, pour ne pas regarder de front ces pulsions qui ne marchaient pas au pas.

Naguère, en revenant d'un ballet ou d'un cirque, je me suis endormie en m'imaginant tourner sans fin au bout d'une espèce de longe. Telle une pouliche, c'est le fouet du dresseur qui me faisait avancer, trottiner, tomber, qui m'obligeait à me relever, à trébucher d'encore quelques pas, avant de me coucher, étalée comme une étoile soumise, pour subir les derniers coups, plus cinglants, qui me feraient sursauter, puis me retourner, offrant ventre, seins et sexe au mordant de la mèche, chatte vaincue faisant acte d'allégeance.

Et puis il y a le fil à la patte. Ce n'est pas une menotte. Juste un noeud coulant.

Et deux mètres cinquante de liberté. Deux mètres cinquante pour esquiver les lanières furibardes. Deux mètres cinquante pour sautiller en poussant des cris effrayés. Deux mètres cinquante pour me donner l'illusion de la fuite. Deux mètres cinquante pour m'éloigner en rampant. Deux mètres cinquante pour récupérer de la cravache. Deux mètres cinquante, océan dérisoire, pour échapper à ta volonté. Deux mètres cinquante qui d'un mouvement impérieux de ton poignet deviennent deux centimètres et demi. Je respire ta peau, ta sueur se mêle à l'odeur du cuir, et engloutissent les fragrances de mon sexe en feu en eau.

Tu joues avec moi comme l'enfant et sa bobine. Weg ! Da ! Je suis comme un diabolo au bout d'un fil de jokari, plus tu m'élances, plus vite je reviens. Je veux être cette balle rebondissante qui s'affole sous tes coups, toujours rattrapée, plus fort renvoyée, n'attendant qu'une seule chose, que la fatigue bouffe mes genoux, que mes muscles endoloris n'aient plus de ressort, que je me chiffonne à tes pieds comme un kimono sans maître, que tu me détendes d'encore d'autres coups, que tu me renfloues sous le fouet, que tu me regonfles de gifles au corps, avant de m'empaler sur ton sexe durci qui n'en peut plus de m'attendre, sur quoi je glisse comme sur une piste chair, t'enveloppant de la liqueur laiteuse de mon excitation.

Le plus beau, c'est que ce fil, j'aurais pu le découlisser de ma cheville ou de mon poignet, en un tournemain. Et que jamais je n'ai eu envie de le défaire.

La photo est extraite de To all those who are going to die someday, un ballet de Shigeo Makabe . Tous ceux que le bdsm fascine ont de fortes chances d'apprécier les spectacles de danse contemporaine. Les chorégraphes s'y connaissent en corps torturés et sublimés et, aussi difficile d'accès que soient parfois certaines performances, je ne suis jamais rentrée d'un de ces ballets ou performances sans avoir engrangé mille images dans ma musette musardine.