Et si tout venait d’un malentendu sémantique, d’une dyslexsie syntaxique. Qui aime bien châtie bien, combien de fois ai-je entendu cela dans mon enfance, même si à la maison, à part ma mère qui parfois excédée se laissait aller à me gifler, c’est sans doute pour cela que je ne l’aimais pas tant que ça, ma mère, les châtiments corporels étaient bannis au profit des explications morales et pédagogiques, ou de privations vénielles qui ne me touchaient guère.

Et si j’avais compris de traviole, interchangeant les propositions ? Jusqu'à croire que quiconque me battrait avec application, outre l’attendrissement de ma chair et de mes sentiments, m’aimerait à ma juste mesure. À la folie donc.

De la même manière que lorsque j’entends rire mon prochain à l’un de mes mots supposés d'esprit, les maux prodigués par une main (nue ou accessoirisée) masculine dans un contexte plus ou moins sexuel, plutôt plus que moins, seraient autant de preuves d’amour.

Est-ce que mon masochisme repose sur des bases aussi fragiles et frelatées qu’une inversion lexicale ? Il ne m’en fait pas moins jouir et réjouir, mais ne suis-je pas sur un « chemin de bois », une belle impasse avec un mur épais au bout, en cherchant l’amour dans ce qui n’est peut-être pour mes partenaires que l’expression d’une pulsion bienfaisante, l’amour se passant ailleurs, avec une femme non masochiste mais procréatrice ou castratrice ou fée du logis.

Parce que c’est bien cela que je cherche. Pas forcément en bail 3 6 9, pas nécessairement avec une majuscule, pas indubitablement pour la vie. J’ai lu sous la plume d’un autre une phrase que j’aurais aimé entendre d’un partenaire, « ma cravache ne sait que te dire : je t’aime ». Je l’entends ainsi, même si je suis du côté qui claque, chaque coup est comme un mot d’amour. La seule chose que j’ignore (enfin, non, pour être parfois niaise, je reste lucide) c’est si de l’autre côté du manche, c’est entendu et dispensé ainsi.

Un jour, il y a longtemps, avec beaucoup de tendresse dans la voix, alors que j’avais envie de son sexe dans le mien, P. m’a doucement murmuréà l’oreille en me caressant les cheveux que me faire l’amour, ce serait autre chose, c’était lourd de signification. Il m’a fait l’amour, des semaines ou des mois plus tard. Je ne saurais jamais quel sens il a accordé à ses pénétrations, à ses orgasmes, mais je sais qu’il ne m’aimait pas. J’étais sans doute devenue assez familière pour qu’il s’épanche. Tout en étanchant ma soif de signes extérieurs d’affection.

Je dis baiser et pas faire l’amour, comme si le mot brûlait, comme s’il risquait de fâcher, comme s’il était tabou. Ecarter les cuisses et se faire tirer les lèvres jusqu’au cri, oui. Dire j’aime ce que tu me fais, encore oui. Mais jamais au grand jamais, ne dire je t’aime.

Il vient d’où ce grain de sable gros comme le diamant plus gros que le Ritz qui a grippé ma machine intime, et qui aux alentours du mi-centenaire me laisse encore dans cet état de petite fille qui ne se sent pas digne d’être aimée et qui choisit soigneusement celui (ou ceux) qui n’ont aucune intention de l’aimer. D'aimer bien, d’apprécier la compagnie, de jouir à gros bouillons, oui, oui, et oui. D’aimer non.