BDdansSM

(La proximité d'Angoulême n'aura échappé à personne, mais il faut toutefois entendre ce bd comme bondée et dominée.)

Quelqu'un me disait un jour qu'il faisait une différence cardinale entre femme fouettée et femme battue. Une fois celle-ci faite, il se sentait parfaitement à l'aise dans sa pratique du bdsm. Il a sans aucun doute raison.

Parfois pourtant, je ne peux m'empêcher de me sentir en décalage.
Comment vivre paisiblement et pleinement des pulsions sado-masochistes dans un univers de domination, d'oppression, d'aliénation, d'humiliation ? Les rapports de travail sont sous ces dieux lares en ion, les DRH semblant les seuls vrais successeurs du marquis de Sade et le baron MEDEF, un Elizabeth Bathory au masculin qui se repaît des sangs prolétaires. Les rapports de pouvoir (sociaux, amoureux, politiques, laborieux...) sont de plus en plus cruels, les coups pleuvent (maladies, licenciements, deuils, accidents...), la société explose d'une violence extrême. On en a bien plus qu'on ne peut en supporter, la coupe est pleine, alors comment, dans le huis-clos des chambres à coucher (ou les espaces plus ou moins feutrés des clubs spécialisés) s'en va-t-on reproduire ces schémas sans réfléchir ni soutenir la comparaison. (Et sans que le vase ne déborde à gros bouillons.)

Avec cette circonspection, ce mal à l'aise, je deale à ma façon, en me servant, c'est dérisoire, des pattes de devant, généralement, avec des piètres écrans de fumée. La méthode coué est éculée, le mantra serine "je suis libre, je suis libérée, j'ai du libre-arbitre à revendre, je le veux volontiers".
Alors que pour certains, la fiche signalétique du parfait dominant doit inclure une queue de taille plus que moyenne et une variété de pratiques proche de l'exhaustivité, j'aurais tendance à les préférer membres bienfaiteurs d'Amnesty et compagnons de route des féministes.
Très loin des fantaisies à la "Village People", il m'est difficilement (quand pas impossiblement, définitivement) envisageable de jouer avec un flic, un mirlitaire, un émule de l'affront national. Les jeux de rôles, en soubrette ou écolière, avec fouille au corps ou matonneries prisonnières, me laissent de marbre (ou me plongent dans une hilarité louche). Je veux même pas évoquer les fantasmagories à la "Portier de nuit", parce que là, je risque de m'énerver, ce qui n'est plus de mon âge. Ou de vomir. Ou d'éructer. Ou de montrer du doigt.
Tout ce qui se rapproche plus d'un rapport des Nations-Unies sur la torture que d'un traité d'érotisme me repousse.

Vous me direz qu'il ne reste plus grand choses si les femmes en cages me rappellent les prisons d'Asie et les bidules électriques la gégène.
Il reste des continents entiers, tout est à inventer. C'est refuser Pinochet pour embrasser Bataille, c'est cracher sur les menottes glaciales pour aller quérir certaine corde sensuelle. Et puis partager ces trésors sensuels avec quinconque abominera les mêmes clichés (lequel cliché n'est finalement jamais que dans l'oeil de celui qui regarde, donc tout cela est éminemment subjectif et privé).

Je suis tombée (n'en déplaise à nos amis arbitres des élégances sado, maso et associées) dans la marmite bdsm toute petite (voir les épisodes précédents). Ca n'occulte pas la vigilance.

On pourrait dire ça n'a rien à voir, si seulement cela n'avait effectivement rien à voir. Un Jimini Cricket qui n'a pas sa langue sans sa poche et qui me taraude jusque dans mes rêves/cauchemars me répète que ça a tout à voir, et de jouer les yeux bandés (de dentelle et velours ou de nylon compagnie aérienne) n'est pas une manière d'évacuer le problème. Si j'ai si longtemps refusé de regarder mon corps meurtri, mes fesses pollockisées, mon échine mordue, mes poignets irrités, mes lèvres enflées, c'était sûrement par peur de voir en face ces connotations.

Hier encore, collier canin au cou, cuir aux chevilles, pinces aux seins, cet attirail relié par une chaîne trop courte qui ajoutait à la torture en m'obligeant à des positions peu glorieuses, je jouissais par tous les orifices, pores inclus.

Je commencerais doucettement à être en paix avec les références ? Presque... puisqu'elles me reviennent encore et toujours.

Alors que je sais qu'il y a un monde entre un oeil au beurre noir et des bleus au cul.