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Profitant de la reprise de Tatouage (Irezumi) de Yasuko Masumura (d'après le roman de Tanizaki) et d'une exposition d'Irinia Ionesco à la galerie Benchaieb, j'ai réenfourché mon dada tatouage, celui que je ne caresse que des yeux et de la pensée, mais tout de même, il me colle drôlement au corps en ce moment, celui-là.
Le tatouage, celui qui me fait vibrer, qui me parle, c'est sans doute celui importé de Chine, où il était alors un châtiment corporel.
Je viens juste de l'apprendre, et ça fait diablement sens.
Or donc...
Comme mes images bdsm les plus anciennes viennent soit de la bibliothèque rose (dont on ne dira jamais assez de bien, ni comme elle était bien nommée), soit de la cinémathèque, celles du réalisateur Teruo Ishii recommencent à danser dans ma mémoire dès que la syllabe tat est évoquée. Teruo Ishii (à ne pas confondre avec l'autre Ishii, Sogo, tout aussi recommandable sinon plus en matière de cinéma, mais pas dans le même registre) devrait figurer sur toutes les étagères des japonisants branchés sm. Petit maître de l'ero-gro (érotique grotesque), ce ne sont chez lui que femmes torturées, tatouées, prostituées, frappées, violées, humiliées, écartelées, suppliciées... mais surtout tatouées. Les couleurs crient encore plus fort que les héroïnes et parfois même, les tatouages sont fluo. Ce qui n'a strictement aucune importance, non seulement on peut assez facilement (particulièrement quand on fricote du côté de la maison BDSM Illimited) y trouver son content esthétique, mais encore que les mille et un signes fétichistes embarquent tout. Donc le spectateur.
En tous cas, moi et mes 17 ans, il m'a drôlement emballée. (Au point que je ne suis pas allé revoir ses bobines à L'Etrange Festival dernier, pour garder à ses images ma vision candide, terrorisée, avide et émerveillée d'alors.)
Dire que Teruo Ishii est obsédé est un délicat euphémisme. Un obsédé à côté de lui ferait figure de Oui-Oui. Les titres de ses films (ceux de la période 60/70 en tous cas, la série Joys of Tortures, dans l'ensemble Teruo Ishii serait plutôt un Ed Wood trash) parlent d'eux-mêmes : Femmes criminelles, Orgies sadiques à Edo, L'enfer des tortures...
Plus que des ouvrages érudits, ses films donnent à comprendre les secrets érotiques et rituels du tatouage. Parce que sous la violence, l'outrance, le prétexte historique, l'accumulation, ses films parlent autant à la peau qu'à la tête (plus sans doute à la peau, il n'est point besoin de grosse tête, il vaut mieux même oublier un peu son cerveau, on n'est pas loin de la série Z avec le bonhomme).
Ou alors, c'est parce que j'avais 17 ans et des fantasmes qui ne demandaient qu'à éclore.
Bien plus tard, j'ai toujours envie du tatouage mais sans l'encre. Juste les aiguilles, la douleur, la contrainte, des perles de sang. Je ne crois pas aimer les tatouages, je ne suis pas sensible à un biceps ceint d'un motif tribal, ni d'une peau (fût-elle imprégnée de saké, merci Ishii pour cette information, fût-elle de la plus belle femme du monde) comme de la soie à peindre. J'aime l'idée de ces piqûres affolantes, de la peau comme une page et du corps comme un roman à venir, j'aime que ce puisse être une punition. Surtout ça.
Le plaisir, au matin, de contempler les marques laissées la nuit même par un ardent dominamant est un substitut de tatouage, éphémère, sans aiguille, mais conçu dans ce mélange de souffrance et de jouissance, celui que l'on voit sur le visage des héroïnes d'Ishii ou de Masumara. Une grande mystique n'arrive pas à la cheville de ces regards extatiques.
A voir aussi, au musée Dapper, Signes de corps
A guetter, le définitif La femme tatouée de Yoichi Takabayashi