Un jeune correspondant, plasticien de son état et poète dans l'âme, m'envoie un joli court texte de Kleist (Heinrich von) et de 1810 sur le théâtre de marionnettes ("Uber Das Marionettenntheater").

Ils nous parle, à lui, à moi, sur des modes différents.

Le motif de la marionnette revient souvent dans mes images, dans mon imaginaire, dans mes métaphores et mes analogies. Masochiste. Marionnette. Être jouée. Être liée. Être manipulée. Être entravée. Être contrôlée.

J'ai souvent suspecté que l'une des raisons, non, pas raison, l'un des plaisirs collatéral de mon masochisme puisait sa source dans une extrême passivité, passivité hautement réprimandée à l'aube de ma sexualité, dans les années 70 commençantes, quand il était de bon ton que la femme soit dessus et s'active comme une diablesse.

Quelle fatigue ! Rien que d'y penser, j'en baille.

Blague dans le coin, et retour à nos marionnettes (comment peut-on être féministe, féminine et masochiste ? Ce sera l'objet, ou pas, d'un blogue un de ces quatre, juste après "sadomasochisme et humour, couple irréconciliable ?). Abdiquer de la pensée, du mouvement, des réflexes mêmes. N'être que le pantin des désirs et de la volonté de l'autre. Un temps en tous cas. Sensation grisante d'un facile abandon. Comme si ma jouissance était subsumée à la perte de contrôle.

Je me suis souvent, au bout de la queue ou de la main d'un amant, sentie animée et maniée par ce corps, ce bras, comme une marionnette à gaine. Mouillée. E mue. Mue et émue.

Mais le texte de Kleist parle de marionnettes à fils.

Une marionnette qui s'éveille, si j'ose dire, est un spectacle magnifique, beau comme un ballet. Ça a l'air mort, sec et dur comme du bois, tout juste bon à amorcer un feu de cheminée. Et la tête se redresse. Puis un pied. Deux doigts. Un avant-bras. Une cheville. Ça commence comme le dépliage d'un origami, il n'y a que des angles bruts, de la raideur. Et puis c'est Nijinski, une grâce aérienne, les pieds qui flottent à quelques millimètres du sol. Presque irréel.

Jubilantes, les marionnettes qui sont ainsi agies. Quand elles sont de chair. Quand elles peuvent un temps, se dédoubler, sortir d'un corps lourd de souvenirs, de névroses, de blessures pour n'être plus que sens sans mémoire, être éolien en presqu'apesateur.

Galatée plutôt que Pinocchio, tout de même.

Vivre non seulement par le regard de l'autre mais par son souffle. (Aïe, ça vire biblique, cette histoire décousue.)

(À lire en écoutant "Poupée de cire, poupée de son", pour la note acidulée très sucette à l'anis)