C'est une très vieille idée, pas encore réalisée. Née il y a des lustres, pendant un film de Jodorowski, était-ce La montagne sacrée ?

Dans ce qui était censé figurer une exposition d'art moderne, entre diverses oeuvres, derrière un rideau, des femmes dont on ne voyait que le cul bien placé dans un trou, pas glory hole (à l'époque, que savais je des glory hole, rien !), mais qui exposait ainsi leur prose aux mains des visiteurs, lunes nacrées dans un tissu de nuit.

Outre ce que cela pouvait avoir de basiquement excitant pour qui rêve que l'on s'occupe vivement de son derrière, il y avait cet anonymat, bien plaisant, de ne présenter aux autres que la seule partie à échauffer, en pouvant rester égoïstement, presque en autiste, avec ses sensations. Droit au but, et pas de bla bla ni de présentations. Reste juste à espérer que les mains auront du talent.

Ces images qui restaient, indélébiles, dans ma tête, je les tordais, les triturais, les étirais, un peu comme les taches de couleurs qui sinuent dans les lampes lava. Les fesses ne suffisant pas, plus, j'améliorais l'installation fantasmatique en prévoyant une accessibilité au sexe. Et aux seins. Et sans rien connaître des équipements spécialisés de donjons ou clubs, je fabriquais mentalement des sm-machines sophistiquées et qui berçaient mes exploits oniriques et stimulaient mes orgasmes en solo. A force de construire des chevalets ajourés, de rêver d'académique à la Musidora un peu troués aux endroits stratégiques, j'ai fini par imaginer ce dont j'avais vraiment envie. Un carcan radical.

                                   

Il suffirait d'un panneau de contreplaqué assez haut et large pour proprement séparer mon corps en deux, m'interdisant de voir ce qui se tramait derrière, une entaille en U permettant de le glisser à la hauteur de ma taille, laquelle serait étroitement liée à une table ou un chevalet. Mes chevilles aussi seraient immoblisées, et si besoin était, mes genoux et mes cuisses, de manière à assurer l'impossibilité du moindre tressaillement de cette partie du corps.

Au contraire, tout ce qui est au-dessus de la taille, est libre. Libre mais impuissant. Délicieux paradoxe. Mes bras peuvent s'agiter, mes poings se fermer, mes doigts mimer les griffures, tout ce qu'ils peuvent rencontrer est le bois comme un poste frontière infranchissable. Ils ne sont, malgré leur revendication et leur agitation, en rien capable de me défendre, de me protéger.

L'ironie de cette situation qui n'est pas ce qu'il y a de moins séduisant.

Mais le plus emballant à mes yeux est la mise en pratique de ce "elle se sentit fouettée" (© Comtesse de Ségur in Dourakine) qui me hante. Je crois qu'on ne peut jamais mieux se sentir fouettée, ou pénétrée, ou jouée, que lorsqu'il n'y a que le toucher (très appuyé, certes) qui entre en jeu. Il faudrait presque agrémenter, dieu que ce serait laid, mes oreilles de suppliciée d'un casque anti-bruit. Les coups seraient ressentis dans toute leur pureté première, sans le moindre parasite. Même si le son qui claque lui aussi participe grandement à la sensualité d'une raclée. Quand bien même je tournerai la tête pour essayer de supplier, d'attirer le regard de mon bourreau, de le faire fléchir en lui montrant mes larmes, je ne pourrais le voir.

A défaut de ce grand carcan qui me morcellerai en deux, une partie souffrante et cuisante, une autre résignée et hérissée, je me contenterai du modèle ordinaire, une tête, deux poignets, mais je crois que j'aimerai vivre une fois au moins cette installation, ces sensations.

Je peux encore aujourd'hui, trente ans bien tapés après la naissance du fantasme, me branler en imaginant mon impuissance heureuse, mon extase à me battre contre le vide tandis que mon train arrière malmené sans concession, d'être deux en même temps qu'une. Terriblement deux, formidablement une.

Une variante, qui pousserait à l'extrême l'ironie de cet équipage serait que (je concède que là, on arrive à la superproduction home vidéo avec casting), subitement, tout en étant toujours fouettée, fessée, fouaillée et fouillée, mon dominamant se présente devant moi. Tout en comprenant dans une écarlate bouffée de honte que c'est un autre, inconnu, invisible, qui me prodigue le rougissant traitement ; tout en me réjouissant d'avoir soudain deux mains pour empourprer mes seins et une queue rubiconde pour ma bouche, je réalise que la partie devient nettement plus pimentée. A quelques dizaines de centimètres et dans le droit axe de mes yeux, un moniteur me présente plein pot mes fesses zébrées. J'ai ordre de ne pas les quitter des yeux. Après m'être sentie fouettée, je suis obligée d'assister en voyeuse à mon chatiment. La position de la tête forcée par les cheveux tirés dans un poing sans pitié, le moindre cillement est sanctionné par une volée de coups plus vifs.

La récompense sera alors bien évidemment que le dominamant du rêve se plante devant moi, et me laisse enfourner sa queue jusqu'à m'étouffer, mais au moins remplaçant la vision de ma chair meurtrie par celle de son pubis triomphant.