Etait-ce en hommage à ce cinéma qui s'appelait le Midi-Minuit que nous avions décidé que ce soir, cette nuit, serait un Minuit-Midi, un tour de cadran assez inhabituel pour nos 400 coups clandestins, plus souvent abrités par les fins d'après-midi fraîches ou les débuts de nuit illustrés par Séléné.

A minuit, comme tu l'avais souhaité, je t'attendais écartelée sur le lit, au plus large, au plus ouvert, poignets et chevilles enserrés dans ces bracelets de cuir qui n'attendaient que toi pour être fixés par des liens aux pieds du lit. J'avais aussi préparé ce dispositif, avec le plaisir que tu imagines. Sur mon ventre, à la portée de ta main, quelques mètres de cordonnet violet. Il était si tard, la nuit était si calme, que je n'avais osé laisser tourner un de ces CD d'électro jazz dont je pensais habituellement et naïvement qu'ils diluaient dans leurs notes mes cris et les sifflements de la canne. Aussi, tu m'avais dit que nos activités seraient parfaitement adaptées au calme dense de cette veille de week-end victorieux.

J'avais beau respirer le plus lentement, le plus profondément possible ; l'appartement était pourtant d'une tiédeur agréable ; je n'en frissonnais pas moins et quand, enfin ! (on ne chantera jamais assez les louanges du premier contact, qu'il soit tendre ou cinglant) ta main se posa sur ma taille, elle me fit autant d'effet qu'une décharge électrique. Sans que mes pieds et mains ne bougent, comme s'ils étaient déjà attachés, mon corps s'est tendu dans un arc. Puis, à chaque cliquètement du mousqueton dans son anneau, je me sentais fondre, entre excitation et adrénaline. Ce petit bruit de presque rien, cette métaphore d'enchaînement, cette certitude d'être réduite à l'impuissance me précipitait au bord de la jouissance. Au bord seulement, les quelques centimètres qui m'en séparaient allaient mettre des heures à être parcourus.

Tu as négligé le bandeau qui se trouvait près de ma tête, je n'ai pas compris tout de suite pourquoi tu me bandais les yeux. Du bout de ta langue serpentine, tu as dessiné des volutes à la saignée de mes coudes et dans mes creux poplités. Tu as dédaigné mon sexe, que je bombais pourtant vers toi en une supplication muette, et tu t'es saisi de la fine corde violette.

J'ai pu te voir, hypnotisée par le rituel mais moins que tu ne le semblais toi même, bonder soigneusement, scrupuleusement, sévèrement, mes seins avec ce lien dont la couleur de Monsignore faisait oublier que sous la strangulation, mes seins aussi devenaient mauves. Je dis mes seins mais en les regardant de plus en plus bondés, chaque tout de cordelette semblait prendre des heures et les métamorphoser de plus en plus radicalement, j'avais du mal à les reconnaître. Plus petits, plus jaillissants, plus gonflés qu'il n'avaient jamais pu être, et comme détachés de mon corps par une sensibilité atténuée et une frontière violette. Ces seins étaient les tiens, plus que les miens, et le vertige qui m'a saisie à ce moment là, cette stranéité à ma propre chair, à mon propre corps, n'était pas loin de la panique.

Mais comme pour me rassurer, pour me remettre en phase avec moi-même, pour rendre mes seins à min corps, tu t'es approché d'un de ces globes incongru, et tu l'as tété, sans doute mordu sauvagement, j'en ai trouvé les marques plus tard, mais mes sens étaient ailleurs, dans un engourdissement de glace. Tu étais, c'est donc possible, plus goulu que jamais. Tu pressais l'autre, comme une grenade que tu aurais voulu voir éclater et je me suis surprise à regarder sans plus aucune angoisse, mais toujours avec une certaine stupeur, ces poires devenues pommes.

Tu avais eu raison de m'attacher, je crois qu'autrement, je n'aurais pas eu cette patience, je n'aurais pas voulu attendre et je me serais battue pour retrouver "mon corps". Tandis que là, sans encore être séduite par ta recherche esthétique, je pouvais comprendre ton désir. Et ton plaisir. Et comme des petites filles - dont je n'ai jamais fait partie, non par dégoût de la torture mais par celui des poupées - infligent déformations et supplices à leur Barbie ou Corolle, tu m'avais transformée en un drôle de jouet, une poupée gonflée.

(A suivre ? Nous sommes encore loin de midi, à moins, à moins, qu'après les enchevêtrements haletants d'usage et grâce à mon statut de convalescente revenue des virus du moment, nous soyons endormis pour la plus grasse des matinées, jusqu'à l'heure du brunch, un brunch à la vanille...)